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S'étonner de la vie avec la nature, la philosophie, les sciences, l'esprit...

Aventures et commentaires sur les événements du monde ou expériences personnelles... avec une sensibilité plus forte vers l'étonnement et la créativité

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Réflexions autour d'Hannah Arendt

Le fait d'avoir décidé d'écrire un blog avec un esprit positif ne signifie pas être béatement optimiste (1). Je fais le choix de l'être avant le non être. Mais aussi le choix et la priorité de l'être sur le devoir-être qui nous entraînerait trop précipitamment vers l'idéologie, l'utopie ou le moralisme. Je dois cela à la fois à mon éducation, ma formation et ma pratique scientifique, et à la découverte de la phénoménologie il y a cinq ans, que j'approfondis petit à petit avec l'aide de Maurice Merleau-Ponty. Je voudrais évoquer, à titre de gravité qui équilibre les articles plus détendus, la belle figure d'Hannah Arendt... et je dédie cet article à mon beau-frère Christophe, pilier du courant écolo belge (et qui m'a confié qu'Arendt a été la référence qui l'a guidé)

  • Hannah Arendt (1906-1975) est phénoménologue. Et elle est juive. Sa vie, exceptionnelle, est marquée par la fréquentation de ce formidable bouillon de culture philosophique qui marqua les années 20 à 30 en Allemagne, pour le meilleur et pour le pire, alors que le cauchemar nazi se profilait à l'horizon : Edmund Husserl, Hans Jonas, Karl Jaspers, Gershom Scholem, Rudolph Bultmann et bien sûr Martin Heidegger (qui fut son amant sulfureux, et, rappelons-le, la référence philosophique du régime nazi, après qu'Arendt ait pris ses distances avec lui)... N'oublions pas non plus son mari Günther Anders, philosophe référent de l'écologie politique, et tant d'autres... Tout ces noms prestigieux flanquent le frisson ! Hannah Arendt a dû fuir le régime nazi, avant de continuer sa vie tumultueuse aux États-Unis où elle rédigera ses plus grands ouvrages. Elle est considérée comme une des références de la philosophie politique.

La phénoménologie essaie de coller au concret et aux faits avant toute médiation hâtive du jugement et de l'abstraction. Je relis actuellement, sous l'angle phénoménologique, ligne à ligne, le dernier tome de la somme magistrale d'Hannah Arendt, "Les origines du totalitarisme". Ce tome, "Le système totalitaire", écrit en 1950-1951, et révisé à plusieurs reprises -je lis la dernière version de 1968-, me donne le vertige à chaque page (2). Prise dans la mouvance de la Shoah, Hannah Arendt est capable de rédiger, avec une froideur et une efficacité sans égal à l'époque, une analyse systématique des deux grands totalitarismes du XXème siècle, celui des nazis et celui des communistes soviétiques. Je devrais plutôt dire celui de Hitler et celui de Staline, tant l'identification des régimes avec leur tyran est totale. Lire ces pages est une nécessité qui rappelle, dans notre époque à la fois hédoniste, aveugle et anxieuse, toute enveloppée d'images (et beaucoup moins d'écoute), que nous ne sommes pas à l'abri de telles abominations, même si l'Europe qui se constitue est un rempart beaucoup plus sûr. Hannah Arendt ne traite pas la Chine de Mao, préférant, dit-elle, laisser l'analyse aux historiens et philosophes du futur quand ils disposeront d'une documentation suffisante.

  • Je suis étonné, alors que la parole des rares rescapés des camps était frappée de mutisme, à quelques exceptions près (3), que cette femme, juive je rappelle, ait pu entreprendre une telle somme dès les années 50. J'exagère un peu bien sûr. Mon enfance (dans les années 60-70), quand on évoquait la Seconde Guerre Mondiale, était marquée par le Débarquement de Normandie, par les exploits des Marines dans le Pacifique, par l'épopée de De Gaulle ou, eh oui, par celle de Rommel dans les sables du désert... et aussi par Hiroshima. La Shoah, mot inconnu à l'époque, n'apparaissait que comme fait divers dans une stratégie plus globale entre "Grands de ce monde". Il a fallu le feuilleton télévisé "Holocauste" des années 70, le film documentaire "Shoah" de Lanzmann, lire des ouvrages de fond, animer des sessions, notamment autour du livre de Jonas "Le concept de Dieu après Auschwitz" et du commentaire de Catherine Chalier, pour mesurer toutes les dimensions de l'horreur et la position centrale de la Shoah dans la compréhension (si l'on peut comprendre !) du nazisme et de la Guerre. J'avais également, mais trop rapidement, feuilleté les livres d'Hannah Arendt dans les années 80.

Hannah Arendt traite également de l'autre totalitarisme, sans complaisance, celui de la Russie soviétique, celui de Staline. Doit-on rappeler l'aveuglement de tant d'intellectuels, notamment en France, sur cette autre monstruosité (4) ? Une alliance entre la mort, le mensonge et la terreur. Une terreur qui augmente au lieu de diminuer quand l'opposition disparaît. Je dois avouer que moi-même, dans les années 70 et 80, j'essayais non de défendre, mais d'excuser le régime communiste en refusant toute analogie avec les nazis, sous prétexte que le communisme s'appuyait sur une philosophie humaniste. J'ai été vacciné de cette illusion par la lecture de Tzvetan Todorov "Mémoire du mal, tentation du bien" (autre ouvrage indispensable à lire), puis d'autres ouvrages de divers horizons. Et la relecture d'Hannah Arendt renforce le vaccin. Les totalitarismes se moquent complètement des éventuels fondements humanistes (Hitler aussi a gardé la Constitution démocratique de Weimar).

  • Thème récurrent de sa réflexion, Hannah Arendt explique que la plupart des hommes (très peu de femmes !), moteurs et acteurs de ces systèmes, sont des gens ordinaires. Et non des fous ou des pervers, comme on a tendance à le faire croire pour mieux s'en distancer (quoiqu'au bout d'un certain temps ! Voir '"Les Bienveillantes" de Jonathan Littell). C'est ce qu'affirmait mon père, quand j'étais jeune. Il y a des pervers partout, cela ne donne pas des Hitler, des Staline, des Göebbels, des Beria ! Idéologie, séduction, haine, mensonge aussi sont de la partie : et cela relève de la responsabilité personnelle et de la conscience éthique. Il est impossible de faire ici un exposé systématique de tous les points traités par la philosophe. Je rappelerais simplement que cela s'est passé en Europe, là où la culture se disait humaniste, là où les sciences et les techniques étaient sensées éclairer la Planète (rappelons que les régimes totalitaires se sont toujours réclamés scientifiques).

Que ce soit une femme qui écrive un tel réquisitoire est loin d'être innocent, même si elle n'est pas la seule (elle fut pratiquement la première). Comme me disait un ami récemment, tout cela est une affaire de mâles et de machos, fiers de leurs bottes, de leurs défilés de chars et d'uniformes, de leurs armes pointues qui éjaculent de la mort. À Heidegger qui affirmait que « l'homme est né pour la mort », Hannah Arendt a répondu : « non, l'homme est né pour la vie ». D'après Wikipedia, sur la dépouille d'Hannah Arendt, Hans Jonas qui fut son ami intime aurait dit, après la prière juive, : « Avec ta mort tu as laissé le monde un peu plus glacé qu'il n'était. » J'espère que non !


PS. Arendt n'a jamais voulu qu'on la nomme philosophe. Toujours sur Wikipédia, j'ai lu cette phrase pas si innocente que j'essaie de méditer à mon tour : « la majeure partie de la philosophie politique depuis Platon s'interpréterait aisément comme une série d'essais en vue de découvrir les fondements théoriques et les moyens pratiques d'une évasion définitive de la politique. » (Condition de l'homme moderne, Calmann-Lévy p.285). Ce point de vue peut se discuter. À mon avis, elle est du même calibre que les plus grands philosophes.

 

(1) Être positif signifie d'une part que je pose les faits devant moi, avant de passer à une réflexion de type négatif (au sens dialectique), critique, apophatique ou symbolique.

(2) Quelques historiens ont critiqué par la suite quelques-unes des thèses, non suffisamment documentées, de l'auteur, mais l'ouvrage reste une référence mondiale. Mais je soupçonne certains d'entre eux de ne pas être suffisamment guéri de l'influence néfaste de ces grands totalitarismes.

(3) On pense à Primo Levi, par exemple.

(4) Edgar Morin évoque souvent les dérives et slaloms d'un certain nombre d'intellectuels français. J'en reparlerai à l'occasion.

Hannah Arendt

Publié le 18/08/2009 à 11h37 dans Planète village

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