Jeudi 25 juin 2009 4 25 /06 /2009 06:51
L'article présent sera découpé en deux parties, pour ne pas être trop lourd à lire. Il a été écrit dans un café, proche du sommet du Grand Colombier, dans l'Ain, face à un panorama où la variété des couleurs et des parfums rejoignait la majesté d'un paysage de montagnes.

*

Quand j'étais adolescent, un vieux parent m'avait affirmé qu'être attiré par la mystique ou la spiritualité relevait de la sentimentalité primitive, si ce n'est d'un reste d'animalité non encore parvenu à l'humanité vraie et authentique. Et il ajoutait que la raison adulte saurait résorber cet état transitoire.
  • La fréquentation, par la raison philosophique, d'un certain nombre d'auteurs "adultes" et plus que "raisonnables" m'a informé de la prudence à garder à l'égard des affirmations précipitées. Le "feeling" anglo-saxon, le "je ne sais quoi" imperceptible mais dense "d'être", la "sensibilité" notamment artistique, intuitive, ou l'affinité de l'amitié, ne sont pas des états de perception inférieure à la raison. Ils manifestent au contraire une subtilité indéfinissable que seuls les êtres évolués, organiquement parlant, peuvent soupçonner, expérimenter et mettre en oeuvre. Une subtilité qui leur permet à la fois d'échanger de l'information de plus en plus complexe, et de se différencier individuellement.
    Du point de vue animal, les mammifères se différencient et communiquent entre eux, en tant qu'individus, beaucoup plus subtilement que des reptiles ou des insectes. A fortiori les femmes et les hommes, dont les visages, le langage et les oeuvres artificielles et culturelles dévoilent un espace qualitatif (une "noosphère") nouveau, ontologiquement parlant !... n'en déplaise aux naturalistes qui cherchent à tout prix à réduire la spécificité humaine à quelque appendice de la chaîne de l'évolution.
Je ne nie pas qu'il puisse exister des formes de spiritualité ou de mystique, voire de sentimentalité, qui soient en deça d'une raison dite adulte... et Dieu sait que j'en ai rencontré ! Hystériques, hallucinés ou (parce que je les place dans la même catégorie) soumis, bigots, intégristes, fondamentalistes et bénis-oui-oui. Sans doute le corps (et ses pulsions) s'exprime-t-il avec une violence physique ou verbale (contre soi-même ou contre les autres) qui le recouvre dès qu'il se sent en danger. Le corps, naturel ou humanisé, vit en effet plus proche de l'être que l'esprit, au sens philosophique, et il le déborde, même. Laissons cela de côté. Ce qui m'intéresse ici, c'est la perception sensible qui est au-delà de la raison : l'esprit de finesse, disait Pascal quand il montrait que le coeur a ses raisons que la raison ne connaît pas.
  • Épistémologiquement parlant, l'existence de cette connaissance (et inconnaissance) supérieure n'est pas difficile à démontrer. Elle a fait l'objet de toute ma recherche depuis plus de trente ans, et aujourd'hui elle ne pose plus de doute sérieux à ma conscience philosophique. Elle s'articule sur l'expérience de la vie du corps existant, corps sensible et corps historico-social, ainsi que de la vie de l'esprit, qu'un pur logicien ou un pur mathématicien sans corporéité, doté d'un simple arsenal formel et d'un réseau de concepts, ne peut connaître.
    Hermann Hesse Je vais tenter de la symboliser à travers deux analogies : la première est celle de l'amitié, la seconde celle de la création artistique. Ces analogies ne sont naturellement pas exhaustives. Elles sont inspirées en partie par le souvenir revisisité d'un roman extraordinaire, "Narcisse et Goldmund" de Hermann Hesse, que le lecteur devra lire et imaginer derrière les lignes qui suivent.
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Je me suis aperçu un jour, avant de l'expérimenter moi-même, que l'amitié n'est pas seulement une rencontre d'affinités ou une reconnaissance réciproque du "Soi" de chaque personne ("parce que c'était lui, parce que c'était moi", disait Montaigne à propos de la Boétie), mais une spécification, voire une singularisation de la relation elle-même. Aucune amitié n'est semblable à une autre : chacune est unique, irremplaçable et éternellement libre. Cela vous semble évident ? Réfléchissez bien : pas tant que cela, surtout dans une culture dominée par l'image, la confusion entre besoin et désir, et la standardisation des valeurs. Vouloir piéger l'amitié, ou l'amour du reste, dans l'abstraction ou dans des modèles normalisés, est voué à l'échec. Dès l'instant où un discours sophistique ou une science prétendrait théoriser l'amitié et la faire entrer dans un jeu de catégories conceptuelles, de conjectures et de réfutations, elle a déjà perdu son objet... pour ne s'occuper que d'un fantôme ou d'une trace.
  • Parenthèse [Un proche, sénégalais, musulman, Moktar, me disait il y a deux jours, que l'Europe avait gagné le monde, mais perdu le sens social, et sans aucun doute le sens de l'amitié...
    Aristote plaçait l'amitié au sommet de son éthique. Tous les grands maîtres de sagesse, dans les religions et spiritualités orientales et occidentales, enseignent la valeur initiale et initiatique de l'amitié. Les grands maîtres, j'entends, pas les petits ! Il existe en effet de petits, tout petits prétendus "maîtres spirituels" qui ont enseigné le contraire et fait de tout petits ridicules disciples qui se sont fait grossement entendre et qui ont engendré de gros dégâts dans les consciences. Un jour, j'ai entendu sur France Culture un penseur raisonnable, agnostique de surcroît (ô surprise !), affirmer que "l'amitié n'était pas une valeur judéo-chrétienne". J'ai bondi au plafond : de Moïse dans la nuée ardente, il est écrit que Dieu et Moïse se parlaient comme un ami parle à son ami. D'Abraham, Paul de Tarse dit qu'il était l'ami de Dieu. Une grande partie des aventures bibliques sont des histoires d'amitiés et de libertés, parfois brisées, souvent sublimées. Quant à Jésus, il affirmait au soir de sa vie à ceux qui l'avaient accompagné (traîtres, pleutres, dégonflés compris...) qu'il ne les appelait plus disciples, mais amis. L'amitié participe de l'essence divine. Elle est au coeur du mystère trinitaire.
    ] Fin de la parenthèse
Si on accepte la dynamique de l'amitié telle que j'ai essayé de la faire passer, alors le verrou d'une connaissance subtile et irréductible saute. L'authentique mystique a quelque chose à voir avec l'amitié.
Nous sommes loin, très loin, de l'espace formel, qu'il soit critique ou dogmatique, qu'il soit scientifique, systématique ou spéculatif, qui prétend exprimer la seule vérité.


(suite dans un prochain article)




Par Nicorazon - Publié dans : Et Dieu dans tout cela
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