Lundi 19 avril 2010 1 19 /04 /2010 11:19

2010-04-19-volcan Ce matin, j'entends un pilote de ligne de Lufthansa affirmer une contre vérité très racoleuse liée à de vieux présupposés qu'il faut rappeler.

Voici en gros son affirmation : "comment se fait-il qu'à l'époque où on envoie des satellites dans l'espace, on soit incapable de prévoir l'évolution d'un nuage de cendres !


Ben oui !

Autre exemple bien connu : La Science est capable de prévoir une éclipse, mais est incapable de prévoir si on pourra l'observer (en raison de la météo)


Plusieurs remarques :

- D'une part, "La Science", ça n'existe pas. Il y a "des sciences" différentes qui traitent de domaines spécifiques, avec des hypothèses diverses, parfois contradictoires, avec des méthodes, mathématiques ou non, plus ou moins efficaces. "La Science" avec un S, c'est du domaine du mythe. Je l'ai déjà écrit plusieurs fois sur ce blog.

- D'autre part, la science occidentale, née avec Aristote et Archimède, puis continuée avec Galilée et Newton, repose sur quelques principes métaphysiques que les épistémologues connaissent depuis longtemps : expliquer le désordre à partir de l'ordre, expliquer la fluidité à partir de la solidité, expliquer le temps à partir de l'espace, expliquer la complexité à partir du simple.

  • La science occidentale a très bien marché pour tous les systèmes proches de l'équilibre ou pour les systèmes linéaires quasi linéaires, c'est-à-dire les systèmes pour lesquels les incertitudes et les perturbations sont faibles et quantifiables. C'est ce qui explique la formidable réussite des sciences occidentales dans tout ce qui relève de la mécanique, de ses modèles appliqués en astronomie, en physique macroscopique et microscopique, et de leurs applications techniques, des systèmes électro-magnétiques, des systèmes automatiques, robotiques etc. Elle a permis d'élargir l'espace des connaissances spatio-temporelles dans toutes les directions, contre les simplismes cosmogoniques, religieux et mythologiques (encore que ! On ferait bien d'être prudent dans ce genre de propos, parce qu'en creusant, on aurait des surprises !)
  • Mais on sait que l'approche strictement mécanique est plus faible, malgré des modèles statistiques efficaces, pour traiter des systèmes turbulents, fluides, en déséquilibre thermodynamique, comme peuvent l'être la météo, la physique des fluides et un nombre croissant de sciences qui traitent de l'imprévisibilité, des singularités et du chaos.
    Dès qu'apparaissent des solutions non linéaires dans les équations, les sciences sont obligées de faire des approximations, des simplifications, voir d'introduire des hypothèses dites "ad hoc" pour cacher les difficultés. On connaît cela en physique quantique (incapable de résoudre les équations au-delà des atomes simples), en cosmologie (qui maintenant est traitée par des modèles fluides), etc. On sait la réaction d'Einstein (d'esprit totalement géométrique), mécontent quand le mathématicien Friedmann et quelques cosmologistes ont découvert que les équations de la Relativité Générale avaient des solutions instables et non linéaires.

N'en rajoutons pas en ce qui concerne les idéologues scientistes qui traitent des êtres vivants, des comportements psychologiques ou symboliques, des systèmes sociaux... Chaque époque apporte son lot de rêveurs positivistes (1) : au XIXème siècle, Laplace pensait expliquer toute la nature à partir de la position instantanée et de la quantité de mouvement de tous les objets dans l'espace ; au XXème, les généticiens pensaient tout expliquer du monde vivant à partir de la structure et des fonctions des gènes ; au XXIème siècle, les cybernéticiens ou informaticiens pensent expliquer les arcanes du cerveau à partir du fonctionnement de l'ordinateur.

2010-04-19-crue rhône
En fait, ils n'en décrivent que la moitié : celle qui est proche de l'équilibre, celle qui est "linéarisable". Et celle qui peut conduire à un développement technologique et commercial. Celle qui transforme les torrents de montagne en canaux et les forêts en parking de bitume. L'autre moitié garde son imprévisibilité. On peut prolonger cela en ce qui concerne l'avenir de la Planète et le questionnement écologique.

  • Michel Serres a démontré que la physique aurait pu aussi naître de la pensée du philosophe latin Lucrèce : les systèmes naturels naissent au coeur d'une fluidité, faite de hasard, d'imprévisibilité, de trajectoires non linéaires. Tout un courant scientifique actuel s'est engouffré dans cette direction : théories du chaos, des fractales, de la thermodynamique non linéaire, des bifurcations, des attracteurs étranges... avec quelques âneries autour de l'Effet Papillon par exemple (2). L'ordre et les organisations surviennent au coeur du désordre ; et non : le désordre est une perturbation de l'ordre.

En fait, les deux perspectives sont vraies : elles sont à la fois contradictoires et complémentaires. L'une, mécanique, calqué sur le modèle du Soleil et des planètes, met l'accent sur l'ordre, la géométrie et la construction ; l'autre, énergétique, calqué sur le modèle d'une rivière turbulente, met l'accent sur la fluidité, l'imprévisibilité, les interactions non linéaires, les tourbillons et le tout statistique. Complémentaires, car chacune appelle l'autre pour rendre compte d'elle-même : la première a besoin des calculs d'incertitude pour être physique et concrète ; la seconde est obligé de faire appel à des modèles mathématiques statistiques pour être reconnue comme représentation scientifique.

Quant aux êtres organisés, vivants et autonomes, ils jouent comme des enfants dans une cour de récréation, au sein d'un jeu entre hasard et nécessité (3). Les Chinois voient peut-être mieux que nous avec leur Tao (le Yin et le Yang), plus proche du concret que nos magnifiques architectures occidentales abstraites et technologiques (si inhumaines).

Alors le mystère de l'univers, des vivants ou de l'existence humaine elle-même serait-il du même domaine que celui des jeux ? la nature s'amuse-t-elle ? (à des jeux dramatiques, parfois, je le reconnais) ? (4)


Revenons à notre pilote de ligne : pour que la mégamachine technique de l'aéronautique ne soit pas menacée par cette imprévision volcanique, il va invoquer le dieu de la mécanique universelle. Bien "joué" !

 

 

(1) Il y a deux sortes de folie : celle de défaut de raison, et celle d'excès de raison. Il faudrait relire Foucault, de temps en temps !

 

(2) L'effet papillon est un développement théorique et abstrait de la théorie du chaos. Dans des systèmes complexes, il est noyé dans les différents croisements statistiques. On ne peut en faire un principe d'explication : le volcan d'Islande n'est pas un effet papillon, pas plus que l'arrivée de Bonaparte au pouvoir !

 

(3) Jacques Monod a eu un mal fou à se dépêtrer de la dialectique hasard-nécessité dans l'ouvrage du même nom... et lui, le parfait positiviste, en est arrivé à exprimer des positions métaphysiques et éthiques qu'il critiquait lui-même.

 

(4) Pour ne pas sombrer dans une vision tragique de l'existence, comme celle du théâtre grec et de bien des mythologies, défendons la liberté de rire ! Personnellement je crois que la comédie est plus profonde que la tragédie, car la liberté et le rire sont plus fondamentaux que le déterminisme du Destin ou la nécessité mécanique : cela pourra faire l'objet d'une autre chronique de ce blog.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Par Nicorazon - Publié dans : Planète village
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