Mercredi 8 avril 2009 3 08 /04 /2009 10:11

Suite des aventures dans les dunes de Zagora. À LIRE AU SECOND DEGRÉ

Nietzsche, dans un des plus célèbres aphorismes de "Zarathoustra", utilise une métaphore du chameau -donc du dromadaire- (assez percutante, il faut le reconnaître), pour désigner une typologie humaine qu'il n'aime pas... mais qui ne correspond pas à la réalité. Bref, d'après notre ami Friedrich, le chameau ou le dromadaire, est l'animal qui ne vit que par ses muscles, qui s'agenouille et s'humilie pour se charger du fardeau des autres. Oui, Friedrich, il y a un peu de cela, vu d'Allemagne ou d'Italie du Nord.

  Je ne lui en veux pas : j'ai vérifié. Nietzsche ne s'est rendu ni au Maroc, ni au Mali, ni en Arabie, ni dans aucun désert du monde, sinon celui de son coeur
  • Ceux qui me connaissent savent que j'aime Nietzsche parce qu'il dit tout haut ce qu'on n'ose pas penser tout bas. De plus, c'est un homme qui a souffert, des amitiés passionnées brisées, des passions pour des femmes fatales, et perte de la raison de la fin de sa vie. Tous ceux qui sont un peu poètes sont sensibles au philosophe allemand. Cela dit, la lecture de Nietzsche, aussi émoustillante soit-elle, est quelque peu toxique, comme une drogue dure : pour me désintoxiquer d'une page du philosophe allemand, j'ai besoin de lire plusieurs Tintins, quelques chapitres de la Bible ou de la Kabbale, dix bons romans policiers, regarder cinquante "petits journaux" de Canal plus, écouter cent fois le "Pierrot Lunaire" de Schöenberg, faire mille méharées au Maroc ... et encore ! Il restera toujours quelque chose d'un peu vénémeux .
Revenons à nos chameaux et dromadaires. Le dromadaire ne s'agenouille pas, sinon pour une séquence intermédiaire, entre la position debout et la position couchée. Il s'aplatit sur le ventre pour se reposer. Il regarde avec bonhommie l'agitation des bipèdes autour de lui. Il garde la tête droite et autoritaire, sans nullement s'humilier.

Quand il se lève, il le fait en trois temps, c'est-à-dire avec la sagesse de passer d'une activité à l'autre par étapes progressives. Une première fois l'avant, une seconde fois l'arrière, une troisième fois l'avant. Il faut être bien accroché pour ne pas valdinguer au-dessus de la bosse, tel le cowboy emporté dans un rodéo. Il proteste parfois, mais pas plus que nous-mêmes, dans notre insondable sagesse, au réveil du matin... en trois temps : d'abord le dos dans le lit... on se frotte les yeux, on baille en râlant car on resterait bien encore dormir ; puis la rotation de pi sur deux pour s'asseoir au bord du lit et vérifier en maugréant l'exactitude de l'heure sur le réveil ; et enfin la position debout en poussant des soupirs :  "vivement ce soir !" (ordre des séquences non garanti pour tout le monde). Alors pourquoi le dromadaire n'aurait-il pas droit lui aussi à des états d'âme bougons quand on l'invite à se lever ?

Si le dromadaire porte les fardeaux des autres, il ne semble pas en être gêné. D'ailleurs, ce n'est pas lui qui se charge, ce sont les autres qui le chargent. Lui, il est costaud et rend service. Les berbères lui en donnent crédit et sont particulièrement attentionnés envers lui : pas une brutalité inutile,quelques mots brefs et fermes, beaucoup de délicatesse, de cette finesse de l'équilibre entre devoir (marcher) et plaisir (fourrer sa tête dans un buisson pour manger). Et encore, il aime marcher.

C'est donc parti.
La démarche du dromadaire est singulière. En comparaison avec le rythme du pas occidental moyen, celui du marcheur dans la rue ou dans les couloirs du métro, sa déambulation est déstressante. Que l'on savoure le plaisir du balancement sur la bosse ou que l'on marche à ses côtés (voir vidéo ci-dessus), toute la sensibilité ralentit, s'élargit, se dilate.Le dromadaire, muni de longues jambes droites et de sabots qui se moulent au contact du sol, adopte un tempo calme, songeur, deux fois plus lent que celui du pas des vulgaires bipèdes (ou quadrupèdes métalliques) que nous sommes. Tout ralentit. Une marche où on avance vite en ralentissant ! Étonnant, non ? Le dromadaire ne regarde pas le sol, il fixe l'horizon, fait remarquer le responsable de la méharée. Non seulement son pas épouse les reliefs et les aspérités des pierres et du sable, mais son allure noble, tête en avant tournée vers les dunes lointaines, embrasse tout le désert. Waouh !
  • Voici une dune assez raide à franchir. Accrochons-nous. Le dromadaire s'arrête, hésite, prudent : il pense à son précieux chargement. Sympa. Le berbère qui le conduit tire un léger coup sur la corde et le voilà qui dégringole la pente avec autorité. Cris et rires garantis pour celle ou celui qui le chevauche.
traboule lyonnaise Dans les dunes, ceux qui marchent s'amusent parfois à dévaler les pentes en courant ou en se roulant par terre. Liberté du désert. Je me vois mal dévaler en cabrioles les escaliers de Montmartre ou ceux des traboules de Fourvière. Pour deux raisons : d'une part, je me ferais mal. Avez-vous remarqué qu'en ville, si vous ne marchez pas comme les autres citadins, vous recevez des coups et risquez sans cesse votre peau ? Je reviendrais sur ce thème dans un prochain article. D'autre part, je choquerais les âmes bien pensantes... Et les touristes japonais, belges, texans ou marseillais, ajouteraient une couche de plus à l'idée que décidément les français sont complètement givrés. Quand on marche, gambade, roule en galipettes dans les dunes, on ne se blesse pas et on rit comme des fadas.

Tout cela sous le sourire et la protection bienveillante des seigneurs des sables, les dromadaires, et de leurs complices nomades (berbères dans mon expérience...).



Je donne tort au philosophe allemand. Si le dromadaire semble, vu de loin dans l'imagerie imaginaire de nos imaginations, être humilié, lourd, et assujetti aux nomades, c'est lui, en réalité, qui domine la situation dans la marche, dans la tenue, dans le service qu'il rend, dans la sérénité de son allure et de son élégance.


(à suivre)
Par Nicorazon - Publié dans : cogito "ego" sum
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