En avant la musique

Lundi 12 octobre 2009 1 12 /10 /2009 12:04
Un peu de musique pour vous faire plaisir et me faire plaisir...

Une étude tableau de Rachmaninov que j'ai jouée le 27 Février devant 800 personnes au Grand Théâtre d'Aix les Bains, lors d'un concert de la concertiste Karine Vartanian, autour de la musique russe... concert que je présentais et commentais.

Un voyage dans la Russie profonde, celles des steppes, des koulaks et des romantismes amoureux et dépressifs.
Syncopes et décalages des temps... triolets des rythmes de la nature et émotions du sujet mélodique...

Le piano est un Bösendorfer Impérial ! Mmmh ! Bonheur absolu...



Ce n'est pas si facile à jouer que cela !
Par Nicorazon - Publié dans : En avant la musique
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Dimanche 5 juillet 2009 7 05 /07 /2009 23:08
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Lorsque j'avais 16 ans, mon frère Olivier, de deux ans mon aîné, me fit découvrir la "Troisième Symphonie" de Gustav Mahler, alors inconnue du public français. Quelques mois plus tard, après avoir dans la journée escaladé, puis redescendu l'Aiguille du Midi dans le Massif du Mont Blanc, il se tuait en voiture avec deux amis, près de Cluses.
  • Olivier m'a révélé la musique, initié au piano et je lui dois ce langage universel que je reconnais aujourd'hui comme ma langue première -bien avant la langue maternelle-. Jamais depuis, je n'ai rencontré quiconque capable de partager ainsi l'univers musical... Je porte ce don initial comme un mystérieux cadeau du silence et de la solitude, et comme une souffrance incommunicable. Presque seul, j'ai progressé en technique et musicalité sur le piano, rencontré les musiciens que j'aime tant, et exploré cette sphère ineffable, présente partout, aux rayons infinis et pourtant reflet de l'invisible...
Le Mont Blanc dans les nuages, vu de l'Aiguille du Midi Il y a une semaine, avec des proches, je suis monté à l'Aiguille du Midi. En téléphérique... avec un brin de mélancolie. Sur le chemin du retour, nous avons décidé de continuer la descente à pied depuis la gare intermédiaire du "Plan de l'Aiguille" (2300 m) vers Chamonix. J'ai décidé de fausser compagnie à mes compagnons et je me suis enfilé sur un chemin parallèle au leur, plein sud. Trois heures de pente dans les rochers, les alpages, puis dans les bois.

Je m'étais équipé d'une invention irremplaçable : le lecteur MP3. J'y avais copié la "Troisième Symphonie" de Mahler, dans une interprétation de Claudio Abbado et de l'Orchestre de Berlin, avec Jessie Norman (vertige garanti !). L'occasion de la goûter dans le contexte était unique... Cette symphonie est un voyage au coeur de la nature et de l'être intime. Si je devais en emmener une sur une île déserte, ce serait elle.
  • - La Troisième Symphonie de Mahler commence par un long mouvement que le musicien a intitulé "ce que racontent les rochers". Il s'engage comme une marche funèbre, puis chemine en un dialogue entre une mélodie sombre et somptueuse, portée par les instruments à cuivre, vent, batteries graves, et le silence. Quelques paysages traversés, tantôt aux accents guerriers, tantôt aux intonations de cirque, réaniment l'immobilité des pierres.
    Les rochers de l'Aiguille du Midi renvoient un écho tamisé de gris et de blanc, tandis que je longe le glacier des Bossons. Les lignes mélodiques, lentes, entrecoupées de séquences calmes, ont la majesté des granits des Alpes, à la fois rugueux et imposants. Glacier des Bossons
    La symphonie précédente, la "seconde" de Mahler s'appelle "Résurrection" : débuter la "troisième" par la mort et l'inanimé
    a de quoi interroger. La vie ne suivrait-elle pas le mouvement inverse ?
    Je songe à la sonate, dite funèbre, de Chopin, qui réserve la marche à la fin seulement, avant de se conclure dans un cauchemar, une sorte de vent glacial qui souffle sur un cimetière.
    A contrario, Mahler évoque la mort pour ouvrir sa symphonie et la composer comme un hymne à la nature. Dans les rochers et leur écho cristallin, sans doute y voit-il la première vibration d'une marée qui sourd du minéral inanimé, mort, et bouillonne vers la vie, fragile et subtile... et plus loin encore.

    Cette évocation amplifie et retourne, comme en négatif, la seconde symphonie.
Fleurs (photo de René Derenne) - Le second mouvement s'appelle : "ce que racontent les fleurs des champs". Nous voici dans les espaces où le vent caresse les prés, tandis que se balancent les fleurs et les buissons.
Par chance, nous sommes en juin : l'époque où la montagne scintille de myriades de pétales et se parfume d'effluves qui troublent les sens. Je chemine dans les alpages, au sein d'une campagne qui danse.
La musique, reprise par les cordes, violons, altos, semble voler en frôlant les fragiles tâches
multicolores et odorantes.
Je me souviens d'une vieille dame, à Nantes, m'expliquant que son espérance la plus grande dans la vie et dans l'avenir reposait sur la simple existence des fleurs !

Je sens que je vais craquer.

  • Forêt de Chamonix et aiguille du midi dans la brume - Puis voici "ce que racontent les animaux de la forêt".
    Je suis entré dans les bois qui surplombent Chamonix. L'Aiguille du Midi joue à cache cache avec les arbres et les nuages.
    Mahler semble suivre les étapes de l'évolution naturelle. Mais on aurait tort d'imaginer que le génial musicien allemand écrit une simple partition descriptive, naturaliste. Quand Mahler était jeune, il fuyait la tension familiale en se précipitant dans son village imprégné d'un climat de fête champêtre. Puis il s'apaisait. Le mouvement des animaux répercute la tension entre l'ambiance festive et une anxiété pressante.
    L'âme parle.
    On entend les insectes, les oiseaux et les bruissements des petits mammifères, mais aussi un ballet de la vie animale. 

    À la fin du voyage, un crescendo vers un formidable accord orchestral à flanquer le frisson au plus impassible des êtres, enveloppe l'univers sonore. Les mélodies explosent. Chaque instrument prolonge et décompose l'harmonie comme un arc-en-ciel.
    Je craque et pleure : mais ce n'est pas uniquement en raison de la musique. Comme Mahler, l'âme s'épanche en cascade. Les souvenirs douloureux se vrillent dans la mémoire.
- Suit alors ce lied, parmi les plus beaux jamais composés, chanté par Jessie Norman, sur un poème de Nietzsche. Je ne sais combien de fois dans ma vie, j'ai fredonné ce lied sombre, nocturne, ce "chant de la nuit". "O Mensch...Was spricht die tiefe Mitternacht ?... Ich schlief... Tief ist ihr Weh... - Homme... que dit la nuit profonde... Je dormais... Profond est le chemin..." (*)
Au coeur de la nature, l'homme est une interrogation... et il sommeille. Pour se cacher ?
Dans les bois, je perçois, derrière la musique, le murmure de quelque torrent qui descend d'un des glaciers, plus haut.
Il fallait bien Nietzsche pour écrire ce poème interrogatif, et Mahler pour le sculpter en musique silencieuse.
  • - "Bim bam bim bam !" Le début d'un carillon. Telles des étincelles qui précèdent le lever du Soleil, un choeur d'enfants, en duo avec la soprano, porté par le xylophone, les glockenspiels, les cordes et les vents, laisse apparaître la lumière. Comment Mahler fait-il pour basculer des obscures interrogations vers la simplicité cristalline ?"Ce que racontent les cloches". Nous prolongeons le vertige avec le Nietzsche de l'innocence... mais se dessine une ouverture vers le haut.
    Les clochettes des montagnes, sans doute, plus haut. Là où je marche, dans la forêt, je n'entends plus les clarines des alpages.
    La simplicité n'est jamais aisée. Quelques ombres mouvantes traversent la transparence du chant. Ici se clôt le temps de l'angoisse.
"Ce que raconte l'amour". Dernier mouvement. Mahler nous a habitués à ces longs et amples poèmes symphoniques. Celui-ci est, à mon goût, le plus beau de tous, bien plus suave et serein en tout cas que le célèbre adagio de la cinquième symphonie dont on nous a rabattu les oreilles dans les années 80 (suite au film de Visconti "mort à Venise"). L'amour serein ? C'est loin d'être évident a priori. Mais comme achèvement et synthèse du long combat de l'esprit, de l'imagination et du réel... sans doute.
Fresque de M. Larivière, au mémorial de la Paix à Caen Les récits de la Symphonie s'accomplissent en une contemplation, un regard vers une voûte qui culmine dans la lumière. Le musicien allemand, tel un démiurge qui se joue des formes, reprend quelques coloris du premier mouvement, celui des rochers inanimés. Mais il les a transformés en une mélodie qui enveloppe l'ensemble des cordes, et se conjugue ici et là avec l'une ou l'autre. La continuité harmonique recouvre les silences et cassures des rochers. Mahler raconte l'amour qui croît, culmine et pacifie. Non l'amour comme sentiment (qui est second et parfois mensonger), mais comme énergie vitale et synthèse.
L'amour est encore plus vaste que la Vie... et donc victorieux de la mort.

  • Gustav Mahler dernier représentant du "mensonge romantique" (**) ? Ou lointain visionnaire d'un monde achevé, par delà la douleur et les battements des coeurs ? Sa musique a révolutionné celle de son temps et inspiré nombre de créateurs, musiciens, cinéastes, romanciers... Je laisse la question ouverte.
  • L'ampleur cosmique de la Troisième Symphonie de Mahler (sa plus longue -et ma préférée-) vibre sur la lyre de mes perceptions. La Résurrection, si elle a lieu (j'espère), telle qu'elle est entrevue, d'un côté par les grandes spiritualités monothéistes (non encore contaminées par le moralisme, l'esprit théocratique et le juridisme), d'un autre côté par le panthéisme des religions orientales (mais habitées par la conscience réfléchie)... et bien sûr par Teilhard de Chardin, émerge des incohérences et des impermanences du réel comme une nouvelle Création... et non comme le prolongement extra-temporel d'une vie linéaire (certainement très ennuyeuse) dans un imaginaire autre monde.
  • Pour faire partager mon bonheur, vous pouvez écouter le cinquième mouvement, celui du choeur d'enfants et des carillons, en cliquant sur cette page
Le Mont Blanc est une montagne étonnante : il domine, massif et débonnaire, les élans d'aiguilles et de pics bien plus petits que lui. L'éternité de ses neiges, réverbération du dernier récit symphonique, la métaphore de l'amour créateur, semble se moquer des parois abruptes et des agitations statiques de ses compagnons.

L'Aiguille du Midi, juste sous le nuage à gauche, envoie son dernier message...



Il me reste encore plus d'une heure de descente. Les bruissements de l'air dans les arbres accompagnent les dernières sonorités de Mahler, de l'amour, des carillons, des fleurs, des rocs.

Adieu lointain, mon frère, emporté par l'absurdité de la vitesse automobile, qui m'a tant appris... et qui me parle encore aujourd'hui derrière le voile.

(*)
Poème de Nietzsche

O Mensch! Gib acht !
Was spricht, die tiefe Mitternacht ?
Ich schlief, ich schlief,
Aus tiefem Traum bin ich erwacht :
Die Welt ist tief,
Und tiefer als der Tag gedacht.
Tief ist ihr Weh
Lust, tiefer noch als Herzeleid:
Weh spricht: Vergeh!
Doch alle Lust will Ewigkeit,
Will tiefe, tiefe Ewigkeit!"

Traduction française presque impossible.

O homme ! prends garde !
Que dit minuit, la profonde ?
"Je dormais, je dormais,
Je me suis éveillé d'un rêve profond :
Le monde est profond,
Et plus profond que le jour ne l'a cru.
Profonde est sa peine,
Volupté, plus profonde que la peine du cœur :
La peine dit : passe !
Pourtant toute volupté veut l'éternité,
Veut la profonde, profonde éternité !"


(**) Expression de René Girard.
Par Nicorazon - Publié dans : En avant la musique
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