Planète village

Jeudi 5 mars 2009 4 05 /03 /2009 20:09
Je reviens donc d'une expérience magnifique au Maroc, avec des berbères et une méharée de 18 européens. Je suis embauché dans un centre de théologie chrétienne pour travailler sur des questions de société. J'ai enseigné récemment dans un lycée talmudique juif. Mon épouse et une de mes filles viennent d'aller voir un spectacle dansant et chantant truffé de traditions religieuses et de couleurs de l'Inde. Mes meilleurs amis sont agnostiques, un peu new age, athées, évangéliques, vivants, divorcés, mariés, artistes, ingénieurs, commerciaux, chômeurs...
  • Tout cela traduit un tourbillon de valeurs, de sensibilités, de représentations du monde qui s'entrecroisent entre elles et qui démontrent la richesse de la Noosphère.
Et cela réinterroge les petites crispations et torsions personnelles.
  • Je pense à l'idée que je me faisais de l'expression "Inch'Allah". Influencé par un monde occidental qui vit de projets et de projections, d'organisations et de mécanismes, de déterminismes et d'autonomies, d'appels à la responsabilité et de discours de culpabilisation, de bilans et de statistiques, j'interprétais cette belle expression musulmane dans le sens d'une soumission défaitiste au Destin.
Lors d'une de nos marches dans le désert, une participante vit dans le lointain deux arbres sur une dune, à l'horizon. Elle affirma au conducteur de la caravane, Mohammed : "c'est là-bas sous les arbres que nous allons manger ce midi, bien sûr. Non ?" Mohammed répondit avec un petit sourire : "Inch'Allah !". Et de fait, nous n'avons pas du tout mangé là !
Mohammed, avec humour et bonne humeur,  indiquait tout simplement à mon amie qu'elle devait lui faire confiance dans le désert et ne pas projeter ses visions fugitives. "Inch'Allah" signifie plus largement : "je fais ce que j'ai à faire" et si les événements ne suivent pas ce qui est projeté, eh bien, je les accepte comme des cadeaux, des surprises ou des ouvertures.

  • Le "Inch'Allah" de notre guide berbère,  rayonnait une confiance à la vie et une écoute des événements, en compagnie de ceux qui ont plaisir à marcher.
Par Nicorazon - Publié dans : Planète village
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Lundi 23 février 2009 1 23 /02 /2009 16:48
Le propre de l'infini, disait le mathématicien Cantor, est d'être égal à ses parties. En d'autres termes, l'infini n'est pas seulement dans les immensités et les étendues, il se rencontre aussi dans des figures ou des événements très particuliers.
Je reviens du désert, au sud de Zagora, au Maroc. Au coeur d'un groupe de 18 personnes dont mon frère Laurent, avec le soutien de sept berbères magnifiques, nous avons traversé montagnes de pierre, dunes de toutes les couleurs, dormi sous une étincelle d'étoiles...
J'y étais parti pour alimenter une aspiration spirituelle ancienne et intense et je voulais toucher quelque signe de l'absolu et de l'infini. Propos bien prétentieux et quelque peu pompeux que j'ai en plus proclamé au groupe, au départ, et que j'ai même eu l'imbécilité d'écrire dans la lettre de motivation que nous demandaient les organisateurs de l'équipée, Pierre et Anouchka.
  • Au bout de trois jours, le désert m'ensorcelait, mais brusquement quelque chose a basculé : je n'étais pas seul dans le désert, et sa beauté infinie n'était pas uniquement dans l'espace, les splendeurs qu'il déployait, la vie qui y émergeait çà et là comme un défi au sable envahissant. Elle était aussi dans les figures et les visages de mes compagnes et compagnons d'aventure dont toute la richesse intérieure, forte ou fragile, se révélait au fur et à mesure que nous cheminions. Jamais dans ma vie, me semble-t-il, je ne m'étais tant aperçu (autrement que dans le discours) que chaque instant, chaque petit événement, un mot ici, une étreinte là, un rire ou un sourire, un regard, un frémissement d'émotion, pouvaient être imprégnés de tant de puissance et de vérité. Comme dans un océan calme et profond qui reflète les couleurs du ciel et du soleil, l'autre, les autres, me révélaient à moi-même.
Les anciens parlent souvent du désert comme d'un lieu de rencontre de soi à soi. Parfois, cela fait un peu égocentrique, voire narcissique. Ici, le Soi s'est rencontré dans l'amitié et les regards. Oui, Cantor a raison, l'infini et l'absolu sont aussi dans les occasions et les événements les plus infimes et les moins visibles...
Par Nicorazon - Publié dans : Planète village
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Samedi 31 janvier 2009 6 31 /01 /2009 08:04
L'entreprise unilatérale de l'Église romaine de se réconcilier avec les évêques intégristes a donné lieu à une pétition engagée par le journal "La Vie". Parmi ces évêques, l'un d'entre eux, Williamson, est un négationniste de la Shoah et il le fait savoir avec sonneries et trompettes.
Après avoir lu des blogs, des articles et des émissions de radio sur le sujet, j'ai décidé de signer cette pétition pour diverses raisons :
  • Tout d'abord, je suis en bonne compagnie : Paul Valadier, Jacques Delors, Jean-Marie Pelt, René Girard, Jean-Pierre Dupuy et bien d'autres... personnages dont on ne peut pas nier l'esprit de discernement et de réserve réfléchie face à des décisions-clés.
    Le rapport à la Shoah ne mérite aucune négociation. Il est partie intégrante de l'ontologie humaine de maintenant forgée par l'histoire.
  • Ensuite, je conteste l'appropriation que ces "intégristes" se font de la "Tradition". La Tradition est comme un organisme vivant, un arbre, qui grandit de l'intérieur en se nourrissant de ses échanges avec son milieu. Elle rappelle, analogiquement parlant, la vision que les rabbins juifs ont de la Torah : sa fécondité est d'autant plus riche qu'elle se situe dans le débat permanent, dans l'interprétation et la relecture. Nous sommes dans le registre du vivant.
    Cela n'a rien à voir, voire c'est contraire, à l'idée d'un monolithe immobile, mort et protégé par des rites éternels... Laissons les morts enterrer les morts.
  • Dans la même ligne, je conteste l'idée selon laquelle les intégristes se prennent pour le "fils aîné" de la parabole de l'évangile sur "le fils prodigue". J'ai commenté ce point dans un autre blog !
  • Je viens de relire dans "Process and Reality" (un de mes livres de chevets) de Whitehead la démonstration que seuls les êtres complexes sont capables d'évoluer. Chez Whitehead, dont la philosophie est essentiellement une philosophie de la vie (de l'organisme, dit-il), la complexité ne se situe pas seulement dans les structures. Elle se situe surtout dans la ramification et les infinis degrés du "feeling". Ce mot anglais, tout le monde le sait, est intraduisible : il signifie à la fois les multiples variations de la sensibilité, les niveaux d'écoute et d'échange avec le milieu.
    Les grosses ficelles des intégristes, incapables d'entrer dans un processus évolutif, démontrent -dans le cadre de la pensée de Whitehead- que ce sont des imbéciles, en plus d'être dangereux
    .
La tentative de réconciliation de Joseph Ratzinger, Benoît XVI, a peut-être un sens caché au coeur de la miséricorde divine. Cela peut apparaître pour un acte courageux de sa part face à des personnes, notamment Williamson, qui utilisent les méthodes des provocateurs terroristes. La pétition de "la Vie", contrairement à ce qu'affirme un évêque dans un article, n'est pas une entrée dans le jeu des provocateurs, mais un acte de justice. Elle est du même ordre que les pétitions que l'on signe pour Amnesty International ou pour l'abolition de la torture.
Avant d'inviter au pardon, il faut se battre pour la justice et la dignité. Le pardon et la justice ne s'excluent pas mutuellement, bien au contraire, mais il y a une séquence à respecter. L'histoire des églises est un peu trop encombrée de ces "pardons" accordés hâtivement avant qu'un minimum de justice ne soit réglé. Et en cas d'impossibilité de pardon à horizon humain, laissons l'événement de Pâques, l'Esprit de résurrection agir à son rythme et en son lieu...
Par Nicorazon - Publié dans : Planète village
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Mardi 27 janvier 2009 2 27 /01 /2009 09:43
Crise financière, puis crise économique... Pourquoi ai-je dans le crâne le pressentiment qu'elles ne sont que prélude à une situation présente et future immédiate beaucoup plus grave ? Derrière cet état critique, se cachent la crise écologique, la crise de l'énergie et d'autres en rebond... Mais derrière l'horizon, se profile une crise spirituelle encore plus profonde. En raison, ou en cohérence plutôt, de ma vision organique des choses et de ma sensibilité artistique, je vibre à la tension du tissu du monde qui manifeste des craquements et des déchirures. Les symptômes sont multiples : chute de la natalité en Occident, au Japon, en Allemagne, dans les pays latins et scandinaves (la France faisant bien curieusement exception) ; tension communautaires croissantes liées à des revendications religieuses et identitaires : les attentats de Bombay, la Guerre à Gaza me rappellent le tableau de Goya (ci-contre) que Michel Serres a placé en couverture de son ouvrage "le contrat naturel". Deux personnages se battent à coup de gourdins, tandis que la boue monte autour d'eux. Agitation permanente des milieux d'affaire et économique, où corruption et immoralité croissent, tandis que crient dans le vide les défenseurs -bien impuissants- d'une éthique de la responsabilité et de la solidarité. Médias de plus en plus propagateurs de sensationnel, d'affectif pleurnichard, de futilité de jeux racoleurs... Et quand survient un événement dramatique comme la tempête de ces derniers jours en Aquitaine, dans le midi, dans la péninsule ibérique et en Italie, il s'en suit comme une expiration, un souffle qui vide l'esprit de ses halètements jouisseurs... qui vont reprendre de plus belle dans quelque temps.
  • L'arrivée de Barack Obama, comme en d'autres temps celle de Gorbatchev ou celle de Nelson Mandela, va-t-elle souffler assez fort pour assécher cette gadoue et apporter un peu de justice et de paix ? Je le souhaite de tout coeur, mais je ne sais s'il y arrivera. Les hommes providentiels sont efficaces quand ils cristallisent l'attente et les potentialités du peuple. Si le moral (au sens psychologique et au sens éthique) n'est pas là, si l'esprit de nos nations autrefois dynamiques vieillit, je ne vois pas comment Obama pourrait être efficace. Des articles lus dans divers journaux (télérama par exemple) énumèrent les raisons d'espérer. En 2009 ? Difficile à croire. À long terme, peut-être, mais bien au-delà du siècle qui a commencé et qui montre des remous inquiétants...
  • La grande grève de l'Esprit, prophétisait Teilhard de Chardin, avant le renouveau des consciences ?
L'athéisme a toujours joué dans ma vie le rôle d'une inversion de couleurs qui mettait en relief mes recherches et mes convictions (qui se densifient avec les années, heureusement). Il m'apparaissait comme le contre-poison par rapport aux moralistes sinistres et les inquisiteurs hypnotiques que l'on croise encore dans les milieux religieux. Mais ces derniers temps, il y a eu une campagne d'affichage lancée par des athéistes dans les rues de Londres et de Barcelone. Si j'ai bien entendu le discours, elle repose sur l'idée selon laquelle Dieu n'existe pas, ou que s'Il existe, on s'en moque puisqu'il ne sert à rien, et que par conséquent profitons de la vie ! Une variation de plus sur le thème : "nous avons toute la vie pour nous amuser, nous avons toute la mort pour nous reposer !" - bref, amusons-nous, ceux qui n'en profitent pas, tant pis pour eux, qu'ils crêvent ! Les malades, les pauvres, les bombardés et phosphorés, les dépressifs, les victimes de l'injustice ? Ce n'est pas notre affaire, ils vont mourir comme nous dans ce monde sans signification. Vu les raisons de désespérer (voir paragraphes précédents), pourquoi s'en faire ? Sous cet angle, l'athéisme n'est plus un filtre d'inversion de couleurs, mais un miroir négatif (au sens moral, pas au sens épistémologique) et manifeste ce que j'appelle la crise spirituelle profonde.
  • Jamais à ces défenseurs d'un hédonisme faussement joyeux, profondément désespéré, il n'est venu à l'idée que le message évangélique est essentiellement un message de joie, de nouvelle création et de vérité existentielle, et que lui aussi noie la mort dans l'événement pascal ? L'histoire religieuse, je sais, l'a un peu oublié et elle a souvent réveillé les puissances de mort par une mauvaise pédagogie de la Croix. Jésus s'est surtout battu contre les religieux, rappelons-le. Encore que, ce que j'écris là est une interprétation personnelle, anachronique, ana-topique, de l'histoire du christianisme.
L'activité industrieuse de l'homme a un sens, sinon, dit encore Teilhard, à quoi bon travailler ? La construction d'une humanité joyeuse, libre et fraternelle, aussi et elle déborde les apparences. Ce ne sont pas seulement les intentions qui comptent (misère d'un moralisme désuet qui a curieusement des résurgences dans l'existentialisme des années 50), mais bien la cité concrète, organique, physique qui se bâtit. Elle est porteuse d'un symbole, d'un logos qui dépasse notre horizon. Pour quelle finalité ? Je n'ai pas la solution, mais eh bien, un peu plus d'espérance en l'homme et en ses capacités aiderait peut-être à le discerner.
Par Nicorazon - Publié dans : Planète village
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Mardi 13 janvier 2009 2 13 /01 /2009 08:01
Oui, je sais, lors du décès d'un proche ou d'un ami, il est de bon ton de dire du bien de lui.
Mais René, mon beau-père qui vient de mourir, n'était pas quelqu'un dont on profite du décès pour lui trouver des qualités. Il était un ami, et l'amitié est ce qu'il y a de plus précieux dans la vie... même s'il faut passer du temps et traverser des épreuves pour la fructifier. Homme  vrai et transparent, bon et solide, drôle et farceur, d'une qualité d'écoute bien au-dessus de la moyenne, il se moquait complètement de l'image qu'il pouvait offrir en société. Il n'y avait aucune malignité, pas un milligramme de sarcasme ou de moquerie en lui.  Il débordait de vie, et son rire et ses exclamations d'émerveillement résonnent encore dans nos têtes.
  • Puisque j'écris sur un blog théologique, je dois dire un mot concernant les convictions chrétiennes et la figure que René dessine. L'étonnement, disaient les grecs, est le premier mouvement de la philosophie. Il l'est ou devrait l'être aussi de la théologie. Dans la théologie biblique, dit-on, deux courants se croisent et parfois s'affrontent : l'un, plus anthropocentrique, qui met l'accent sur la misère de l'homme sauvé par le Dieu misécordieux qui pardonne (non sans quelques rappels d'élémentaire justice) ; l'autre, plus métaphysique, qui met l'accent sur la création, la lumière, les signes et la parole du Dieu créateur dans la nature, l'univers et dans l'histoire. La patte chrétienne qui s'ajoute oscille également entre une théologie de la croix (la souffrance et le pardon, plutôt portée par la tradition protestante) et une théologie de la résurrection (la nouvelle création, plutôt portée par la tradition orthodoxe). Une bonne théologie consiste à équilibrer les deux courants souvent contradictoires. Malheureusement ces derniers siècles, le premier courant a trop souvent recouvert, voire écrasé, le second et a conduit à un spiritualisme désengagé (puisque le monde est pourri, autant ne rien faire et attendre le salut) ou un moralisme culpabilisant (de droite ou de gauche), à des "saints tristes" et au désespoir ou à la révolte de ceux qui n'ont plus la patience d'attendre.
René, Janine et les enfants Soyons clair : si l'autre courant s'hypertrophie, il glisse facilement vers l'oubli des exigences de justice et de défense des petits... ce que l'Église appelle la priorité envers les plus pauvres. J'ai rencontré bien des chrétiens, notamment dans les milieux de pouvoir ou les hommes d'affaires, qui omettaient cette exigence et trahissaient le message biblique et évangélique..

René est incontestablement un homme de la création, de renaissance (comme le rappelait Janine à la messe d'enterrement), de cet émerveillement permanent devant des "événements" (au sens de Whitehead) de la nature ou de l'entourage qui échappent à l'oeil non attentif. Ce rire si spontané, chaud, naturel, était cependant enraciné dans une vie qui a été bien éprouvée. Car un tel émerveillement est loin d'une béatitude évaporée. Sa curiosité ne s'arrêtait pas à quelques exclamations, il creusait, lisait, écrivait, travaillait pour comprendre ce monde qu'il aimait tant, et transmettre ce qu'il s'était approprié. Oui, homme de la création.
Mais de l'autre côté de la bascule, René est également un homme vrai, soucieux de justice et de défense des personnes blessées ou frappées par un destin douloureux. L'épiphanie vue par Giotto Janine, son épouse, et lui-même, ont adopté et soutenu des enfants arrachés de conditions dramatiques, ils ont participé à des activités sociales et écologiques et mille autres engagements où ils se sont donnés sans compter, quitte à y laisser des plumes. Et leurs enfants (dont mon épouse, la meilleure de toutes) sont des personnalités exceptionnelles et trempées qui ont recueilli et épanoui leur héritage, son héritage.

Dernier clin d'oeil : René est mort le 6 janvier, jour de l'épiphanie, Noël des orthodoxes, jour symbolique de la rencontre des mages païens et philosophes et de l'homme, encore enfant et fragile qui va faire basculer l'histoire.
Par Nicorazon - Publié dans : Planète village
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