Samedi 11 juillet 2009 6 11 /07 /2009 19:11
Je reviens de deux journées d'un colloque sur "le mal et la souffrance", vu sous les deux perspectives du Bouddhisme et du Christianisme. Des philosophes, des penseurs bouddhistes de diverses écoles, des théologiens, des ethnologues, des psychanalystes, freudiens, lacaniens, jungiens.
Titre morbide ? Peut-être vu de l'extérieur, mais en réalité, pas du tout : tant au plan de la forme (bons repas et accueil efficace) que du contenu : un concentré de vie et de partage de fond, des rires, des colères et des temps intenses d'émotion.
Bref, un colloque passionnant, par la qualité croisée des divers intervenants et par la profondeur des débats.
  • Le Bouddhisme est une tradition de sagesse, une religion sans Dieu, très concrète et très proche de l'expérience immédiate de la souffrance... À la fin de la première demi-journée, j'ai imprudemment dit à mes voisins de chaise qu'il manquait un Socrate au Bouddhisme, car on saute d'un concept à l'autre sans prise. C'était une maladresse de ma part, car les concepts bouddhistes difficiles à intégrer dans la sémantique occidentale, sont cohérents avec leur vision du monde. Une vision d'interconnexion universelle et très concrète de tous les êtres entre eux.
Bouddha Sagesse signifie équilibre entre extrêmes : en l'occurrence, contre l'extrême de l'ascétisme et contre l'extrême de l'hédonisme. Il s'agit de dépasser l'influence des passions, notamment les trois poisons : la haine, l'ignorance et l'avidité. Le croyant bouddhiste est appelé à se décentrer (un concept essentiel de ma propre réflexion) à travers divers axes de confiance que je ne développe pas ici -les intervenants bouddhistes ont insisté sur le fait que le Bouddhisme est une foi et une religion, et non une philosophie comme on veut le faire croire en Occident.
C
e détachement conduit à la fois à la compassion et à la méditation. La compassion n'a rien d'un apitoiement sur la misère de l'autre. Elle est au contraire un chemin et un accompagnement vers la révélation de la lumière en l'autre. Quant à la méditation, elle doit permettre de nous arracher au Destin du Karma et conduire à l'éveil, qu'a expérimenté le Bouddha, et à la connaissance (au sens existentiel du terme) du Nirvâna.
Vu sous cet angle, la prise en compte de la souffrance s'inscrit comme thérapie préventive : elle ne fait pas disparaître la douleur, mais permet de laisser le moins de place possible à la souffrance.
On pourra regretter dans le Bouddhisme l'absence d'une métaphysique qui interroge la question du mal et de la souffrance en soi. Mais se poser ces questions, disent les bouddhistes, c'est rester à un niveau inférieur, celui du moi... qui est une construction mentale. Argument cohérent avec l'ensemble de la pensée.
Le Bouddhisme n'est pas non plus monolithique : il y a des écoles différentes, et des débats avaient lieu entre les divers intervenants, selon les écoles auxquels ils appartenaient.


  • Le Christianisme, et le Judaïsme dont il est une des interprétations, religions à prophétisme historique (du moins originellement) nous entraînent dans une autre perspective. Ils posent directement la question de la souffrance et de la mort,  et les affrontent de face. Georges de la Tour : Job et sa femme Tentatives de rationalisation, pour le meilleur et pour le pire, confrontation avec l'énigme et l'absurdité du mal (choc autour du Tremblement de Terre de Lisbonne en 1755, du Tsunami récent, et autour d'Auschwitz), procès contre Dieu (songer au Livre de Job dans la Bible -peinture ci-contre : Georges de la Tour : "Job et sa femme"- ou dans la philosophie moderne, de Kierkegaard à Camus)... mais aussi foi en un Dieu qui a expérimenté la souffrance et la mort de l'intérieur (Le Christ) et appel à la responsabilité, l'engagement personnel et la relation interpersonnelle, justice et amour notamment, pour combattre le mal sous toutes ses formes : individuelles et sociales.
    Dans les pays bouddhistes, faisait remarquer un des intervenants (bouddhiste lui-même), il y a plus de dispensaires et d'associations caritatives chrétiennes que bouddhiques.
    À vérifier bien sûr, mais significatif.
Je précise, car c'est important : le Christianisme est en mode réponse à une question, une énigme, et non en mode solution à un problème. L'enjeu est existentiel, non spéculatif, même si la dimension intellectuelle peut apporter du contenu à l'action.
En revanche, peu de place pour l'exercice du corps et de la sensibilité, ce qui est bien dommage : l'Occident judéo-chrétien a oublié le corps et le vivant au profit d'un dualisme matière-esprit, et l'entraînement nécessaire pour prévenir l'inéluctable. Il est amusant de constater (statistiquement parlant) que la médecine classique par exemple, en monde occidental, est plutôt orientée vers le soin du malade avec des apports extérieurs (médicaments), alors qu'il est aussi important de travailler préventivement le terrain somatique et psychique, pour que le corps apprenne à combattre en amont.
Heureusement, les mentalités commencent à évoluer aujourd'hui.
  • Les psychanalystes présents ont permis d'affiner les relations du Moi au Soi, des rapports de la douleur à la souffrance, des relations entre le sujet, l'inconscient et la boucle mensonge-vérité.
 Ma présentation est très caricaturale, bien sûr.

Dans la salle quelques interférences ont montré la difficulté de s'arracher au mode "problème-solution" : "Sitépabien cétacause de ton karma, de ton enfance, des bières que tu sireautes, des cigarettes que tu fumes, cédetafôte ou célafôte de tes vies antérieures. Yaka accepter le Destin, les cycles de la vie, taka faire ci, yaka faire ça, faire de la sophrologie, du yoga, donner plein l'amour ou des fleurs de lotus au suicidaire etc." Mille fois entendu partout (j'ai animé une session sur le sujet dans une école d'infirmières)
  • À un moment, j'ai réagi (et été chaudement applaudi : ce qui fait plaisir à son ego) : je me suis situé en tant qu'ancien malade. Puis j'ai rappelé que la question du mal n'a pas de solution intellectuelle, théorique. Puis j'ai raconté l'histoire de ma vieille tante Bettie, religieuse, qui, à l'époque où j'étais cloué au lit -des années d'hospitalisation, de convalescence, de rééducation-, est venue me voir pratiquement tous les jours : mais surtout, elle apportait de la gaieté, de l'humour, une énergie à la fois communicante et attentive... Et elle glissait à mon intention, derrière le dos du personnel médical, tantôt une bonne bouteille de Bordeaux, presque toujours un petit mets préparé par une de ses connaissances, tantôt des confiseries. Elle avait surtout un art raffiné, d'expérience, pour respecter la douleur, voire la souffrance quand elle est insupportable... et (c'est aussi important) de remettre cette souffrance en place avec fermeté quand elle devient complaisante.
Cette femme est une des personnes qui m'a le plus impressionné sur cette Planète. Comme quoi la "compassion" ou la "sympathie" (pour employer le mot grec stoïcien) n'a rien à voir avec l'attitude penchée d'une bourgeoise bien habillée et pleine de commisération au-dessus de ses pauvres. Elle peut être joyeuse !

Par Nicorazon - Publié dans : Et Dieu dans tout cela
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