Et Dieu dans tout cela

Mercredi 18 novembre 2009 3 18 /11 /2009 08:26

Monastère de la Grande Chartreuse En notre époque de revendication identitaire et d'annonces apocalyptiques tous azimuts, un petit éclairage conceptuel n'est pas inutile. Il y a quelques jours, j'emmène des amis et de la famille visiter le monastère de la Grande Chartreuse, monument exceptionnel d'histoire et de culture, mais aussi d'identité chrétienne... Ignorant la perception de chacun de mes compagnes et compagnons vis à vis de ces interrogations, face à un lieu aussi fulgurant, j'étais à la fois mal-à-l'aise et à l'écoute des événements. Le site de la Grande Chartreuse surgissait de la brume juste après un déluge de pluie qui, paradoxalement, avait transformé le Massif de la Chartreuse en un théâtre de couleurs d'automne, de lumières, de sons, d'eaux jaillissantes et roulantes des parois rocheuses et boisées. Les montagnes, elles-mêmes couvertes de neige pour la première fois de la saison, apparaissaient et disparaissaient selon l'humeur changeante des nuages. Le spectacle était féerique... ou plutôt ensorcelant.

  • Une de mes compagnes me confie qu'elle est attirée par la spiritualité, mais indépendamment de toute religion. Thème connu et compréhensible, par les temps qui courent. Malheureusement, religion et spiritualité ne marchent pas si bien ensemble. Dans les sphères chrétiennes que je connais bien par exemple, le discours religieux est encore souvent infantilisant, voire infantile, et ce qui reste des hiérarchies continue à prendre les hommes et les femmes du XXème et du XXIème siècles pour des enfants, et parfois pour des demeurés irresponsables (1). Le réveil identitaire sur toute la surface de la Planète n'arrange rien. À l'époque où la Terre se tisse des rencontres des cultures, des métissages, d'internet et des échanges internationaux et intercontinentaux, où l'écosystème en danger exige la collaboration de tous, chacun avec ses talents propres, où l'intelligence humaine commence à peine à prendre son envol et percevoir d'immenses territoires, la revendication identitaire des religions ressemble à une explosion de crispations locales de peur. Je pourrais dire la même chose des nationalismes. J'irais même plus loin : les réveils identitaires ont une parenté avec les cellules cancéreuses au sein d'un organisme vivant. Elles sont stériles, elles détruisent la spécificité propre des autres cellules, elles finissent par tuer les organismes.

Or "religion" signifie à la fois relier et relire, indépendant de toute croyance en des divinités. « Relier », c'est-à-dire faire apparaître des liens entre les sociétés humaines et leur environnement naturel, mais aussi relier les hommes et les femmes entre eux. En d'autres termes, donner sens. « Relire » signifie prendre du recul par rapport aux perceptions et sensations immédiates, et assurer la mémoire personnelle et collective. Dans ce contexte, les divinités apparaissent comme l'ensemble des liens et des noms qui permettent d'apprivoiser l'inconnu, que ce soit l'inconnu naturel, l'inconnu social ou l'inconnu au fond de soi. Le monde s'organise donc autour du sens. Les religions ont ensuite une histoire qui permet de dépasser par dialectiques successives les conceptions naïves ou magiques et elle a mené aux grands monothéismes d'aujourd'hui (2). Pour le meilleur et pour le pire. Là aussi en effet, il y a eu un retournement dont la modernité ne s'est pas remise. En se divisant, en se déchirant, en s'imposant parfois par la force et la culpabilisation, les religions ont fini par transformer leur rôle de lien social et naturel en force de normalisation et de diviseur (dont destructrice du sens). C'est ainsi que j'entendais quelqu'un me dire un jour : « les hommes demandent du sens, les églises -et les religions- donnent des interdits ». Retour à l'infantilisation que j'évoquais ci-dessus. Dans ce cadre, la laïcité prend une attitude défensive et, quand j'entends certains discours anticléricaux, ils n'ont pas grand chose à envier aux institutions d'église, question infantilisation. J'exagère volontairement bien sûr, la réalité est plus nuancée : de nombreuses institutions et individus des grandes religions cherchent à dialoguer entre elles, à se comprendre et parfois s'unifier pour répondre aux défis contemporains. Et les religions sont particulièrement actives dans le domaine du social, de la santé et de la réflexion éthique. La laïcité peut aussi apparaître comme un lieu de rencontre et de confrontation où chacun peut retrouver ses petits. Mais que d'obstacles à surmonter ?


"Spiritualité" est une notion riche et polyvalente, parfois ambivalente. Elle répond incontestablement à la demande de sens. Derrière "spiritualité", se cache le mot "esprit" qui évoque une énergie unifiante, active, créatrice et symbolique face à la multiplicité du réel, de la matière et des savoirs positifs. Multiplicité qui prend souvent aujourd'hui l'aspect d'un éclatement et d'une non-communication en profondeur, dans une société où l'image et les masques cachent l'authenticité et les interrogations humaines premières. Les raisons de désespérer ont été nombreuses au cours du dernier siècle. De quoi douter de Dieu, du sens de la vie, mais plus encore douter de l'homme et de sa place dans une nature indifférente (3): retour à la gnose antique, explique Hans Jonas ! (4) La "spiritualité" apparaît comme une recherche de soi, une quête de signification dans le cadre de l'existence sociale, privée ou publique, et une nécessité de compréhension face à la finitude du corps et celle de la parole. Mais elle peut aussi être une fuite du réel, un refuge dans un bien être apparent qui se voile les contingences et les tragédies. D'où l'exigence d'un discernement permanent et combatif.

  • Il y a quelques jours, dans la nuit, j'écoutais une émission sur France Culture animée par l'irréductible Frédéric Lenoir. Avec son invitée, il expliquait le curieux paradoxe suivant : du point de vue des doctrines (et des institutions ou des sociétés qui les prolongent), les grandes religions s'opposent et parfois se déchirent avec violence. Mais du côté de la pratique spirituelle, pratique monastique ou pratique de la marche (5), il y a convergence, croisement et parfois union profonde. Cette union passe notamment par l'expérience mystique de la nuit et du silence : on se découvre soi-même en éteignant le discours, les idées, les bavardages intérieurs, les scénarios intimes. On découvre aussi l'être qui enveloppe et déborde toute représentation et toute théorie. Et par delà le silence et la nuit, il y a le mystère de l'amour et du décentrement de soi. Curieusement, toutes les grandes expériences mystiques rejoignent cette même intuition. Kabbale juive et hassidisme, bouddhisme aux multiples visages, mystique du Carmel, soufis musulmans, Shintoïsme... Et même très souvent chez des athées et des agnostiques. Frédéric Lenoir et son invitée évoquaient Freud et Nietzsche, par exemple. Je suis en train de préparer un colloque sur Edgar Morin : dans sa pensée, pourtant marquée par les sciences contemporaines, les idéologies, le structuralisme, la sociologie, émergent de partout l'inconnaissance, l'aspiration au silence, à la transcendance et au mystère... et la quête de l'amour.

À titre personnel, le musicien que je suis sait que la musique est une merveilleuse propédeutique vers le silence. La musique est le premier langage qui me permet de m'abstraire de l'espace des idées, des systèmes et des modélisations. Et je ne suis jamais aussi paisible que lorsque le silence m'envahit et dilate mes sens et mon espace intérieur aux dimensions de l'infini. Après avoir écouté une symphonie de Brahms ou une chanson de Judy Garland...

(1) Lire à ce propos l'ouvrage de Daniel Duigou : "l'Église sur le divan", 2009.
(2) Pour clarifier la situation, il faudrait distinguer les religions naturelles et les religions à prophétisme ou à sagesse historique. Je ne fais intervenir ici ni foi, ni conviction.
(3) Voir Jacques Monod : « l'homme est un tzigane égaré dans un monde où il est apparu par hasard. »
(3) Hans Jonas est spécialiste de la gnose et du néo-platonisme. Dans son ouvrage « le phénomène de la vie », il consacre un long chapitre, difficile il faut le reconnaître, sur les parentés entre l'existentialisme contemporain et la gnose antique.
(4) L'invitée, dont j'ai oublié le nom, évoquait le phénomène des pèlerinages qu'on retrouve partout sur la Planète.
Par Nicorazon - Publié dans : Et Dieu dans tout cela
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Jeudi 8 octobre 2009 4 08 /10 /2009 09:50

"Il n'y a pas de raccourci vers la vérité". Le mot est de Whitehead. En d'autres termes, les solutions ou réponses rapides aux interrogations de fond sont suspectes, voire certainement fausses ou mensongères. Le mot "vérité", employé à toutes les sauces dans certains milieux, est également équivoque.

Illustration : depuis plusieurs mois, je travaille dans un centre de recherche, de réflexion et de formation appartenant au genre chrétien, de l'espèce catholique. Un lieu, soit-dit en passant, où on ne craint pas les interrogations et les confrontations.
Or, plus souvent que je ne le pensais, je croise dans la nébuleuse qui entoure ce centre, des personnes, très sympathiques au demeurant, tombant dans les pièges les plus grossiers des propagateurs médiatiques d'âneries. Deux exemples, dont l'un va m'arrêter plus longuement, puisqu'il me touche particulièrement.

  • Le premier concerne le doute de plusieurs personnes à l'égard du réchauffement climatique (que je préfère appeler "dérèglement climatique") dû à l'effet de serre provoqué par la civilisation industrielle , à la suite de la lecture du racoleur ouvrage de Claude Allègre "ma vérité sur la planète" (tiens ? La vérité !) et d'articles divers. Je ne rejette pas la remarque d'Allègre selon lequel l'esprit catastrophique n'apportera rien de positif. Pour le reste, je préfère apporter ma confiance aux dizaines de milliers de chercheurs qui quadrillent la Planète et qui observent le dérèglement du climat, et plus encore aux travaux et aux publications du GIEC et de l'ONU sur le sujet, travaux qui n'ont rien de la pensée unique comme on voudrait nous le faire croire.
    Pour ce qui est des réponses, je renvoie au site de Jean-Marc Jankovici (qui m'a dit qu'il y avait une moyenne de trois sottises par page dans l'ouvrage d'Allègre) : www.manicore.com et si vous avez l'esprit polémique, lire l'article de Libé : "les réponses de Libération".

  • Le second concerne le récurrent problème des relations entre les sciences et les religions, qui prend aujourd'hui la forme de l'avatar "créationnisme" ou plus subtilement de l"intelligent design". J'ai moi-même été accusé d'une telle dérive dans mon propre blog, ce qui est un peu fort de café, sachant que je réfléchis ces questions depuis plus de 30 ans, bien avant l'apparition médiatique des nouveaux créationnistes. J'ai même perdu des amis (dont une jolie femme) à cause de cela !

Rappelons les éléments de la réflexion. L'évolution des espèces est un fait scientifique. Il était connu bien avant Darwin qui, le pauvre, condense contre lui toutes les haines et les méchancetés possibles. Je renvoie à l'excellent livre "la révolution de l'évolution" du bien académique Denis Buican, qu'on ne peut quand même pas accuser de partialité.

  • En fait, il faut distinguer deux points : l'un est le fait de l'évolution naturelle. L'autre est celui du mécanisme qui explique l'évolution. Le fait est incontestable. Les mécanismes, eux, sont objet de recherche et d'interprétation scientifique. Dans la théorie darwinienne, il y a des absences, des trous, notamment en ce qui concerne les chaînons manquants. Est-ce une raison pour glisser Dieu ou je ne sais quelle intervention surnaturelle dans ces trous ? Non. Cela n'a rien à voir. On ne répond pas à une question scientifique par une croyance. Un problème scientifique se règle par une théorie ou modèle scientifique, éventuellement par un changement de paradigme scientifique (ce que j'encourage), et donc par une réflexion épistémologique (PUB : Relire Bacon, Galilée ou Descartes sur mon site). Quant au Dieu qu'on fabrique tout exprès pour glisser dans ces trous, il est une fois de plus une jolie petite invention destinée à la paresse intellectuelle et au racolage apologétique.

Jusqu'ici, je pensais que le créationnisme était l'affaire de quelques cowboys du fond du Kansas ou de quelques sarrazins sur les frontières. Je l'avais aussi entendu chez des adventistes et des évangéliques. Hélas non ! On le trouve maintenant dans les milieux catholiques que je pensais plus avisés, quatre siècles après l'affaire Galilée, un siècle et demi après les déclarations de Vatican I sur les relations science et foi, cinquante ans après la mort de Teilhard. Et huit siècles après la distinction scolastique établie par Thomas d'Aquin (*) entre la Cause première (concernant l'être), et les causes secondes (concernant les étants).

Igor et Grichka Bodganov Il est vrai qu'au cœur de la Curie romaine elle-même, il y a quelques années, j'étais tombé un jour sur un document officiel bien maladroit, influencé très clairement par l'ouvrage de Jean Guitton et des inénarrables frères Bodganov "Dieu et la science", qui, pour caricaturer, trouvait Dieu dans le comportement des électrons !!! Sans commentaire !


Petit rappel biblique et authentiquement théologique : le fondement de la Torah commence par « Écoute Israël », puis par « Tu ne te fabriqueras pas d'image de Dieu » (du moins pas avant d'avoir écouté !). Et un autre mot de Jésus celui-là, que je transforme pour l'occasion : « rendez à la science ce qui est à la science, et à Dieu ce qui est à Dieu ».

Et bien sûr encore Whitehead : pas de raccourci vers la vérité, SVP.

 

(*) J'interdis, à ceux qui connaissent mon allergie à Thomas d'Aquin, de rire ! Non mais !

Par Nicorazon - Publié dans : Et Dieu dans tout cela
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Samedi 11 juillet 2009 6 11 /07 /2009 19:11
Je reviens de deux journées d'un colloque sur "le mal et la souffrance", vu sous les deux perspectives du Bouddhisme et du Christianisme. Des philosophes, des penseurs bouddhistes de diverses écoles, des théologiens, des ethnologues, des psychanalystes, freudiens, lacaniens, jungiens.
Titre morbide ? Peut-être vu de l'extérieur, mais en réalité, pas du tout : tant au plan de la forme (bons repas et accueil efficace) que du contenu : un concentré de vie et de partage de fond, des rires, des colères et des temps intenses d'émotion.
Bref, un colloque passionnant, par la qualité croisée des divers intervenants et par la profondeur des débats.
  • Le Bouddhisme est une tradition de sagesse, une religion sans Dieu, très concrète et très proche de l'expérience immédiate de la souffrance... À la fin de la première demi-journée, j'ai imprudemment dit à mes voisins de chaise qu'il manquait un Socrate au Bouddhisme, car on saute d'un concept à l'autre sans prise. C'était une maladresse de ma part, car les concepts bouddhistes difficiles à intégrer dans la sémantique occidentale, sont cohérents avec leur vision du monde. Une vision d'interconnexion universelle et très concrète de tous les êtres entre eux.
Bouddha Sagesse signifie équilibre entre extrêmes : en l'occurrence, contre l'extrême de l'ascétisme et contre l'extrême de l'hédonisme. Il s'agit de dépasser l'influence des passions, notamment les trois poisons : la haine, l'ignorance et l'avidité. Le croyant bouddhiste est appelé à se décentrer (un concept essentiel de ma propre réflexion) à travers divers axes de confiance que je ne développe pas ici -les intervenants bouddhistes ont insisté sur le fait que le Bouddhisme est une foi et une religion, et non une philosophie comme on veut le faire croire en Occident.
C
e détachement conduit à la fois à la compassion et à la méditation. La compassion n'a rien d'un apitoiement sur la misère de l'autre. Elle est au contraire un chemin et un accompagnement vers la révélation de la lumière en l'autre. Quant à la méditation, elle doit permettre de nous arracher au Destin du Karma et conduire à l'éveil, qu'a expérimenté le Bouddha, et à la connaissance (au sens existentiel du terme) du Nirvâna.
Vu sous cet angle, la prise en compte de la souffrance s'inscrit comme thérapie préventive : elle ne fait pas disparaître la douleur, mais permet de laisser le moins de place possible à la souffrance.
On pourra regretter dans le Bouddhisme l'absence d'une métaphysique qui interroge la question du mal et de la souffrance en soi. Mais se poser ces questions, disent les bouddhistes, c'est rester à un niveau inférieur, celui du moi... qui est une construction mentale. Argument cohérent avec l'ensemble de la pensée.
Le Bouddhisme n'est pas non plus monolithique : il y a des écoles différentes, et des débats avaient lieu entre les divers intervenants, selon les écoles auxquels ils appartenaient.


  • Le Christianisme, et le Judaïsme dont il est une des interprétations, religions à prophétisme historique (du moins originellement) nous entraînent dans une autre perspective. Ils posent directement la question de la souffrance et de la mort,  et les affrontent de face. Georges de la Tour : Job et sa femme Tentatives de rationalisation, pour le meilleur et pour le pire, confrontation avec l'énigme et l'absurdité du mal (choc autour du Tremblement de Terre de Lisbonne en 1755, du Tsunami récent, et autour d'Auschwitz), procès contre Dieu (songer au Livre de Job dans la Bible -peinture ci-contre : Georges de la Tour : "Job et sa femme"- ou dans la philosophie moderne, de Kierkegaard à Camus)... mais aussi foi en un Dieu qui a expérimenté la souffrance et la mort de l'intérieur (Le Christ) et appel à la responsabilité, l'engagement personnel et la relation interpersonnelle, justice et amour notamment, pour combattre le mal sous toutes ses formes : individuelles et sociales.
    Dans les pays bouddhistes, faisait remarquer un des intervenants (bouddhiste lui-même), il y a plus de dispensaires et d'associations caritatives chrétiennes que bouddhiques.
    À vérifier bien sûr, mais significatif.
Je précise, car c'est important : le Christianisme est en mode réponse à une question, une énigme, et non en mode solution à un problème. L'enjeu est existentiel, non spéculatif, même si la dimension intellectuelle peut apporter du contenu à l'action.
En revanche, peu de place pour l'exercice du corps et de la sensibilité, ce qui est bien dommage : l'Occident judéo-chrétien a oublié le corps et le vivant au profit d'un dualisme matière-esprit, et l'entraînement nécessaire pour prévenir l'inéluctable. Il est amusant de constater (statistiquement parlant) que la médecine classique par exemple, en monde occidental, est plutôt orientée vers le soin du malade avec des apports extérieurs (médicaments), alors qu'il est aussi important de travailler préventivement le terrain somatique et psychique, pour que le corps apprenne à combattre en amont.
Heureusement, les mentalités commencent à évoluer aujourd'hui.
  • Les psychanalystes présents ont permis d'affiner les relations du Moi au Soi, des rapports de la douleur à la souffrance, des relations entre le sujet, l'inconscient et la boucle mensonge-vérité.
 Ma présentation est très caricaturale, bien sûr.

Dans la salle quelques interférences ont montré la difficulté de s'arracher au mode "problème-solution" : "Sitépabien cétacause de ton karma, de ton enfance, des bières que tu sireautes, des cigarettes que tu fumes, cédetafôte ou célafôte de tes vies antérieures. Yaka accepter le Destin, les cycles de la vie, taka faire ci, yaka faire ça, faire de la sophrologie, du yoga, donner plein l'amour ou des fleurs de lotus au suicidaire etc." Mille fois entendu partout (j'ai animé une session sur le sujet dans une école d'infirmières)
  • À un moment, j'ai réagi (et été chaudement applaudi : ce qui fait plaisir à son ego) : je me suis situé en tant qu'ancien malade. Puis j'ai rappelé que la question du mal n'a pas de solution intellectuelle, théorique. Puis j'ai raconté l'histoire de ma vieille tante Bettie, religieuse, qui, à l'époque où j'étais cloué au lit -des années d'hospitalisation, de convalescence, de rééducation-, est venue me voir pratiquement tous les jours : mais surtout, elle apportait de la gaieté, de l'humour, une énergie à la fois communicante et attentive... Et elle glissait à mon intention, derrière le dos du personnel médical, tantôt une bonne bouteille de Bordeaux, presque toujours un petit mets préparé par une de ses connaissances, tantôt des confiseries. Elle avait surtout un art raffiné, d'expérience, pour respecter la douleur, voire la souffrance quand elle est insupportable... et (c'est aussi important) de remettre cette souffrance en place avec fermeté quand elle devient complaisante.
Cette femme est une des personnes qui m'a le plus impressionné sur cette Planète. Comme quoi la "compassion" ou la "sympathie" (pour employer le mot grec stoïcien) n'a rien à voir avec l'attitude penchée d'une bourgeoise bien habillée et pleine de commisération au-dessus de ses pauvres. Elle peut être joyeuse !

Par Nicorazon - Publié dans : Et Dieu dans tout cela
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Jeudi 25 juin 2009 4 25 /06 /2009 06:51
L'article présent sera découpé en deux parties, pour ne pas être trop lourd à lire. Il a été écrit dans un café, proche du sommet du Grand Colombier, dans l'Ain, face à un panorama où la variété des couleurs et des parfums rejoignait la majesté d'un paysage de montagnes.

*

Quand j'étais adolescent, un vieux parent m'avait affirmé qu'être attiré par la mystique ou la spiritualité relevait de la sentimentalité primitive, si ce n'est d'un reste d'animalité non encore parvenu à l'humanité vraie et authentique. Et il ajoutait que la raison adulte saurait résorber cet état transitoire.
  • La fréquentation, par la raison philosophique, d'un certain nombre d'auteurs "adultes" et plus que "raisonnables" m'a informé de la prudence à garder à l'égard des affirmations précipitées. Le "feeling" anglo-saxon, le "je ne sais quoi" imperceptible mais dense "d'être", la "sensibilité" notamment artistique, intuitive, ou l'affinité de l'amitié, ne sont pas des états de perception inférieure à la raison. Ils manifestent au contraire une subtilité indéfinissable que seuls les êtres évolués, organiquement parlant, peuvent soupçonner, expérimenter et mettre en oeuvre. Une subtilité qui leur permet à la fois d'échanger de l'information de plus en plus complexe, et de se différencier individuellement.
    Du point de vue animal, les mammifères se différencient et communiquent entre eux, en tant qu'individus, beaucoup plus subtilement que des reptiles ou des insectes. A fortiori les femmes et les hommes, dont les visages, le langage et les oeuvres artificielles et culturelles dévoilent un espace qualitatif (une "noosphère") nouveau, ontologiquement parlant !... n'en déplaise aux naturalistes qui cherchent à tout prix à réduire la spécificité humaine à quelque appendice de la chaîne de l'évolution.
Je ne nie pas qu'il puisse exister des formes de spiritualité ou de mystique, voire de sentimentalité, qui soient en deça d'une raison dite adulte... et Dieu sait que j'en ai rencontré ! Hystériques, hallucinés ou (parce que je les place dans la même catégorie) soumis, bigots, intégristes, fondamentalistes et bénis-oui-oui. Sans doute le corps (et ses pulsions) s'exprime-t-il avec une violence physique ou verbale (contre soi-même ou contre les autres) qui le recouvre dès qu'il se sent en danger. Le corps, naturel ou humanisé, vit en effet plus proche de l'être que l'esprit, au sens philosophique, et il le déborde, même. Laissons cela de côté. Ce qui m'intéresse ici, c'est la perception sensible qui est au-delà de la raison : l'esprit de finesse, disait Pascal quand il montrait que le coeur a ses raisons que la raison ne connaît pas.
  • Épistémologiquement parlant, l'existence de cette connaissance (et inconnaissance) supérieure n'est pas difficile à démontrer. Elle a fait l'objet de toute ma recherche depuis plus de trente ans, et aujourd'hui elle ne pose plus de doute sérieux à ma conscience philosophique. Elle s'articule sur l'expérience de la vie du corps existant, corps sensible et corps historico-social, ainsi que de la vie de l'esprit, qu'un pur logicien ou un pur mathématicien sans corporéité, doté d'un simple arsenal formel et d'un réseau de concepts, ne peut connaître.
    Hermann Hesse Je vais tenter de la symboliser à travers deux analogies : la première est celle de l'amitié, la seconde celle de la création artistique. Ces analogies ne sont naturellement pas exhaustives. Elles sont inspirées en partie par le souvenir revisisité d'un roman extraordinaire, "Narcisse et Goldmund" de Hermann Hesse, que le lecteur devra lire et imaginer derrière les lignes qui suivent.
*
Je me suis aperçu un jour, avant de l'expérimenter moi-même, que l'amitié n'est pas seulement une rencontre d'affinités ou une reconnaissance réciproque du "Soi" de chaque personne ("parce que c'était lui, parce que c'était moi", disait Montaigne à propos de la Boétie), mais une spécification, voire une singularisation de la relation elle-même. Aucune amitié n'est semblable à une autre : chacune est unique, irremplaçable et éternellement libre. Cela vous semble évident ? Réfléchissez bien : pas tant que cela, surtout dans une culture dominée par l'image, la confusion entre besoin et désir, et la standardisation des valeurs. Vouloir piéger l'amitié, ou l'amour du reste, dans l'abstraction ou dans des modèles normalisés, est voué à l'échec. Dès l'instant où un discours sophistique ou une science prétendrait théoriser l'amitié et la faire entrer dans un jeu de catégories conceptuelles, de conjectures et de réfutations, elle a déjà perdu son objet... pour ne s'occuper que d'un fantôme ou d'une trace.
  • Parenthèse [Un proche, sénégalais, musulman, Moktar, me disait il y a deux jours, que l'Europe avait gagné le monde, mais perdu le sens social, et sans aucun doute le sens de l'amitié...
    Aristote plaçait l'amitié au sommet de son éthique. Tous les grands maîtres de sagesse, dans les religions et spiritualités orientales et occidentales, enseignent la valeur initiale et initiatique de l'amitié. Les grands maîtres, j'entends, pas les petits ! Il existe en effet de petits, tout petits prétendus "maîtres spirituels" qui ont enseigné le contraire et fait de tout petits ridicules disciples qui se sont fait grossement entendre et qui ont engendré de gros dégâts dans les consciences. Un jour, j'ai entendu sur France Culture un penseur raisonnable, agnostique de surcroît (ô surprise !), affirmer que "l'amitié n'était pas une valeur judéo-chrétienne". J'ai bondi au plafond : de Moïse dans la nuée ardente, il est écrit que Dieu et Moïse se parlaient comme un ami parle à son ami. D'Abraham, Paul de Tarse dit qu'il était l'ami de Dieu. Une grande partie des aventures bibliques sont des histoires d'amitiés et de libertés, parfois brisées, souvent sublimées. Quant à Jésus, il affirmait au soir de sa vie à ceux qui l'avaient accompagné (traîtres, pleutres, dégonflés compris...) qu'il ne les appelait plus disciples, mais amis. L'amitié participe de l'essence divine. Elle est au coeur du mystère trinitaire.
    ] Fin de la parenthèse
Si on accepte la dynamique de l'amitié telle que j'ai essayé de la faire passer, alors le verrou d'une connaissance subtile et irréductible saute. L'authentique mystique a quelque chose à voir avec l'amitié.
Nous sommes loin, très loin, de l'espace formel, qu'il soit critique ou dogmatique, qu'il soit scientifique, systématique ou spéculatif, qui prétend exprimer la seule vérité.


(suite dans un prochain article)




Par Nicorazon - Publié dans : Et Dieu dans tout cela
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Lundi 5 janvier 2009 1 05 /01 /2009 07:28
Réflexion complémentaire à la vidéo de mon frère Daniel sur youtube à propos de l'omnipotence divine

Je ne comprends pas l'anglais, d'où peut-être une méprise par rapport à l'interprétation de la vidéo.


La question de la toute puissance divine est une vieille histoire. Elle est présente dès le début dans l'espace biblique, où le dieu des hébreux ne peut rien faire sans la collaboration des hommes. Le sommet sera atteint au moment de l'exil du peuple à Babylone, avec vents de révolte et nombreuses crises de conscience. Face au mal qui frappe le peuple, il n'y a pas d'athéisme au sens classique du terme, car dans le judaïsme, on est pour ou contre Dieu, mais jamais sans Dieu. Dans le second testament et les évangiles, l'impuissance de Dieu est manifeste au regard des hommes et la puissance ne se manifeste que dans la résurrection du Christ et le pardon.

La pensée grecque ne fonctionne pas dans ces présupposés. La mythologie écrase l'homme et l'histoire dans son « fatum », son destin imposé par des dieux qui le manipulent. Penser à l'Iliade et l'Odyssée. La philosophie, en grande partie, est une tentative de se dégager de ce fatum. Elle conduit en gros, soit à des concepts d'un Dieu érotique ou apollinien (Platon, stoïciens), soit à l'idée d'un Dieu mécaniste, cause première des événements de l'univers et de l'histoire (Aristote), soit à un athéisme radical (Démocrite, Épicure... et plus tard Lucrèce, quoique celui-ci écrive en latin) pour lequel le monde est absurde.

Les romains vont transposer (et envenimer) l'affaire avec leur conception de Dieu à l'image de l'empereur de Rome et une représentation très juridique de la toute puissance divine. On sait l'impact et les dégâts de cette conception sur la tradition catholique, surtout après Constantin.

Le christianisme va se développer sur ce terreau, avec également des influences des religions orientales perses. Inévitablement, les débats sur la toute puissance divine vont faire rage, surtout aux moments des grandes crises, comme par exemple lors de la grande peste du XIVème siècle et à l'époque de la Renaissance, de la Réforme protestante et de l'apparition de la science moderne. Sur ce dernier point, le célèbre débat entre Newton et Leibniz s'articule autour de la puissance divine dans l'univers, qui reprend, semble-t-il les éléments de la vidéo de Daniel... Newton se montrant du reste assez peu newtonien.

Auschwitz Mais c'est dans le judaïsme que l'omnipotence divine est la plus remise en cause. Dans la Kabbale notamment, et un peu aussi dans le hassidisme, où j'ai trouvé les pensées les plus profondes sur le sujet. Récemment, le petit livre « le concept de Dieu après Auschwitz » du juif Hans Jonas qui a perdu une partie de sa famille dans les camps d'extermination, et l'essai de Catherine Chalier qui suit, reprennent magistralement cette question en la projetant sur un plan cosmique. Le petit livre sur Emmaüs de Nicolas de Rauglaudre développe ce thème en l'articulant sur la théorie du chaos et sur la présence universelle du hasard. Malheureusement, il n'est pas publié, car les éditeurs sont très occupés. Snif !

L'athéisme classique traite aussi ce point comme argument contre Dieu (Feuerbach notamment), mais au XIXème siècle, cet argument n'est pas très crédible parce qu'il substitue la puissance de l'homme à l'impuissance divine. L'athéisme moderne (celui de Camus, de Sartre, de Bloch) est beaucoup plus pertinent, parce qu'à l'impuissance divine, s'ajoute la fin des idéaux humains.

Aujourd'hui, il y a peu de théologiens qui défendent l'idée d'une omnipotence divine, a priori, reprenant la réflexion biblique bien oubliée depuis plusieurs siècles. En revanche, c'est une question qui revient souvent dans les médias ou dans les conversations. Pourquoi ? Je n'en sais rien. Peut-être que le prométhéisme de l'homme tout-puissant du XIXème siècle et qui a mené au nazisme et autres horreurs du XXème, a-t-il projeté en Dieu ou contre Dieu ses rêves de toute puissance : « Dieu a créé l'homme à son image, et l'homme le lui a bien rendu », écrivait Voltaire. Je suis en train de relire Nietzsche et sa réflexion est d'une grande actualité. Peut-être est-ce dû à la montée en force de l'Islam qui ne s'embarrasse pas de toutes ces questions et dont la philosophie est très marquée par Aristote et son impact au moyen âge... ou peut-être par la progression des spiritualités cooconing du new age ou ersatz orientaux, où on aime se laisser balloter et materner par des énergies et des influences astrologiques. Je ne sais pas.

Pour ma part, sur ce point, je suis très proche de la réflexion du théologien protestant allemand Jurgen Moltmann, pour lequel l'impuissance divine est la clé de lecture de nos interrogations, et bien sûr du mathématicien et philosophe Whitehead qui conteste les théories de la toute puissance divine.

Voilà, j'espère avoir apporté une contribution à ce débat qui me passionne depuis longtemps

Par Nicorazon - Publié dans : Et Dieu dans tout cela
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