Lundi 4 mai 2009
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18:30
Hans
Jonas (heuristique de la peur), Jean-Pierre Dupuy (catastrophisme éclairé), René Girard (violence
démasquée), Gunther Anders, Edgar Morin
lui-même, Al Gore et son film "une vérité qui dérange", et bien d'autres annoncent l'apocalypse qui se prépare... et qui s'amplifie dans les remous de la crise actuelle. Le théologien allemand Jurgen Moltmann, auteur d'un magnifique
traité écologique de la création, aussi, quoique lui ancre une espérance dans la création et dans l'homme créé à l'image de Dieu (dont il nettoie les aberrantes images qui se sont
construites dans l'histoire). On retrouve les mêmes tendances du côté des scientifiques (les rapports du GIEC notamment), des
économistes (le rapport de Nicholas Stern remis à Tony Blair qui dresse le tableau effrayant du coût des perturbations climatiques et de
l'épuisement des énergies fossiles), des politiques (depuis notre cher ministre Michel Barnier -dans son "atlas des risques majeurs" qui me sert souvent- à l'inquiétante Deep
Ecology)... Tous ces auteurs, je les ai lus (ou presque), parfois travaillés, aimés chacun à leur manière. Mais ils paraissent d'une certaine manière aux yeux des médias et des populations
comme des prophètes de malheur (je dois préciser qu'ils sont souvent plus nuancés qu'on ne le dit), ce qui dessert la pertinence de leur
message.
Il y a un mois environ, je participais à une assemblée de chefs d'entreprise. Est intervenu Hugues Minguet, moine
bénédictin du monastère de Ganagobie en Provence et ancien cadre dirigeant, célèbre pour son best seller "l'éthique ou le
chaos".
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J'avoue que lorsque j'avais lu son ouvrage, il ne m'avait pas follement emballé. Mais le personnage est excitant
et je désirais le voir par curiosité.
Face à nous, apparaît donc un homme radieux, au corps bien planté, au visage ouvert et moqueur, s'exprimant dans
une alchimie qui mêle bonne humeur, humour, exigence intellectuelle et rigueur morale. Il a peu évoqué les perturbations climatiques et l'épuisement des ressources
énergétiques ou de la crise du rapport de l'homme à son environnement et sa structure naturelle, mais il a parlé de la crise au sens large.
Je voudrais relater un de ses propos significatifs auquel j'adhère autant par la raison que par le coeur, bien que si j'avais dû me prononcer, je le complèterais et
l'ordonnerais différemment. Derrière la crise financière et économique, se cachent en cascade ou en dominos, une crise de la parole, puis une crise de l'éthique, enfin une crise spirituelle. La
crise dite "écologique" est immanente à toutes ces strates.
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- Derrière "crise de la parole", c'est-à-dire "ce que je dis du sens", selon
son expression, Hugues Minguet mentionne notamment la crise de l'école, celle des institutions et du droit, celle de la paternité, celle des héritages (culturels, intellectuels et biologiques).
Le tout lié organiquement.
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- Derrière "crise de l'éthique" qui prolonge celle de la parole (j'oserais
dire au profit d'une hypertrophie de l'image et de la représentation), il évoque essentiellement la "crise de l'autre", la parole de l'autre avec un petit "a" (les oubliés, les sans droits, les
sans parole), la parole de l'Autre avec un grand "A" (c'est naturel pour un moine). Cette crise de l'éthique se reflète par exemple dans la pensée unique, celle qui prétend qu'il n'y a pas
d'autre alternative que le regard économiste et la "croissance". Croissance de quoi ?
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- Enfin, par "crise spirituelle", Hugues Minguet parle de celle des valeurs
(non boursières) et de la transcendance. L'oubli de l'infini... et peut-être aussi de notre finitude.
Cependant, Hugues Minguet ne s'exprimait pas du tout en prophète
de malheur, mais avec un large sourire apaisé et contagieux. Nous avons souvent ri. Il a expliqué qu'il proposait aux entreprises des "audits
spirituels", du "moinagement" (les bénédictins étant la plus vieille multinationale du monde : "on en a vu d'autres !"). Pour lutter contre la crise et plus encore contre
l'esprit catastrophique, il offre des outils très concrets concernant les rapports à l'argent, à la technique, à l'organisation, au commerce, à la communication, mais aussi au comportement (accent
sur la confiance), sur la qualité des réseaux, sur la justice et la "justesse" (parole et discrétion), sur le partage, sur les talents, sur le service... et qu'on peut prolonger dans le rapport à
l'environnement, dans un esprit de responsabilité sociétale.
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Hugues Minguet n'est pas un philosophe. Il est un homme typiquement et tranquillement bénédictin, homme de prière,
de contemplation et homme d'action... et ancien cadre d'entreprise, ai-je dit plus haut. Il est surtout un homme profondément unifié. Le corps, l'aura, la sensibilité reflétaient l'âme
et le coeur, et un esprit fait d'humour et de robustesse, d'écoute et de surprise (il répondait aux questions, sans langue de bois ou inversement sans désespérance).
Nous voici revenu au point de départ : unité et sens de l'altérité (comme l'apparaissait le bénédictin). Une
caractéristique d'une crise est la dissolution du coeur, l'explosion et donc la perte de l'unité. Une autre caractéristique est la disparition d'un extérieur. On ne sait plus sur quoi s'appuyer ou
se repérer, comme le plongeur entraîné dans un flux incontrôlable et qui ne voit ni la surface, ni le fond. Quand la crise est là, une tendance naturelle est de s'identifier à elle au point qu'elle
s'empare de notre pensée. Peut-être est-ce une dérive des écrivains et acteurs cités au début de l'article.
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Hugues Minguet nous a au contraire proposé l'image d'un homme debout et serein, capable de parler de la crise de
front avec humour et sans dramatiser...
Son diagnostic est le même que celui des penseurs cités, mais sa disposition d''esprit est à l'opposé de leur
discours. Choix fondamental sur lequel je vais revenir...
(Suite dans un prochain article)
Par Nicorazon
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Publié dans : Planète village
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