Jeudi 30 juillet 2009 4 30 /07 /2009 15:15
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Cet été, j'entreprends d'escalader le plus possible de sommets de plus de 1800 mètres dans le Massif de la Chartreuse. J'ai un faible pour ce Massif, moins fréquenté que le Vercors ou les Bauges qui lui ressemblent, en raison de l'extraordinaire puissance de vie qu'il récèle : des sommets couverts de forêts, des myriades de fleurs au printemps, une faune encore sauvage et une histoire riche, bien que cachée. C'est vrai qu'il y pleut beaucoup (second lieu le plus arrosé de France, après les Vosges), mais c'est une pluie profonde, violente, souvent brève et imprévisible. Dent de l'Ours, au fond à gauche
  • Ce matin, je regarde la Dent de l'Ours à 1820 mètres d'altitude, au-dessus de Saint Pierre d'Entremont. La carte m'indique qu'il y a une route qui monte vers 1400 mètres. Calcul : deux heures de montée, deux heures de descente. C'est bien pour commencer.
  • J'arrive en voiture : zut, je me suis trompé. On ne peut se garer qu'à 1000 mètres. L'ascension sera plus longue et plus difficile.
Bon, contre mauvaise fortune (et peut-être aussi une insouciance de ma part), bon coeur. J'y vais quand même. Pendant plus d'une heure et demie, je chemine dans la forêt.
Le temps est à la pluie, mais les nuages se sont dissipés d'un seul coup. Merci l'atmosphère : au moins, avec toi, on ne peut pas se fier !

J'aperçois un panneau : Col du Fret, 120 lacets !
  • - Il est un fait étrange dans la marche en montagne. La première demi-heure, le corps est en forme, mais l'esprit est râleur et impatient : "quelle idée d'être venu là, j'ai mal estimé le trajet, il n'y a que des bois, on ne voit rien. Patatras si ça continue, je vais m'étaler dans la boue... Il en y a partout sur ce foutu chemin pas nettoyé !".
  • - Au bout d'un certain temps (variable sans doute selon les individus) il se produit l'inverse : je commence à fatiguer, m'essouffler, mais l'esprit et l'humeur montent et s'émerveillent : "Que la forêt est belle ! Et cette souche d'arbre suspendue au dessus du vide ! Oh, une magnifique clairière couverte de fleurs !"
Les 120 lacets, je vais les compter : c'est un excellent moyen de ne pas penser à son genou, à la prothèse qui frotte, aux premières ampoules qui, à défaut d'éclairer la route, gonflent dans la chaussure.

L'émerveillement s'amplifie quand j'accède aux alpages. Une explosion de couleurs et de mouvements tourbillonnants : des campanules, des oeillets, des épilobes, des bleuets, et au dessus des centaines de papillons aux dessins et aux teintes variées, qui jouent, se cachent, se balancent au vent.
  • Bien sûr en bon occidental qui rêve de saisir l'instant dans l'image, je saisis l'appareil photo et clic clac, je tente de capter l'insaisissable. Naturellement, je rate tous les plus beaux papillons qui font exprès de s'envoler à l'instant même où je les fixe.
    En voilà quand même quelques uns sur les photos ci-dessous :

Ah ! Ah ! Cherchez bien !!!



Les lacets ont commencé : la montée est raide. Jeu de l'Oie. Vers le 30ème lacet, la pente est acrobatique : je préfère marcher à 4 pattes, en lançant mes béquilles loin devant au fur et à mesure de la progression. Si je chute, c'est "retour à la case départ", ou "élimination".
Au 49ème lacet, je me casse la figure, roule dans l'herbe et redescends au 46ème -Reculez de trois cases-. Je pense m'arrêter au 60ème pour boire et me reposer, mais j'entrevois le sommet du Col. Je glisse encore deux ou trois fois, mais la pente est moins ardue, et quel plaisir de tomber au milieu des fleurs, s'allonger et regarder le ciel. Eh oui, c'est moi
  • - Arrivée au Col du Fret : 1750 mètres. Je n'ai compté que 105 lacets !
    La Dent de l'Ours est juste au dessus : Malheureusement, Pas un chemin ! Inaccessible ! Je n'aurais pas mon 1800 mètres aujourd'hui ! L'ours s'est caché. Peut-être y a-t-il un homme qu'a vu l'homme qu'a vu l'homme qu'a vu l'ours !
  • - Ce n'est pas grave : la vue est exceptionnelle. Chaîne de Belledonne et Lances de Malissard à l'Est, Petit Som, Grande Sûre et plaines à l'ouest. Et au Sud, le Grand Som qui domine de ses 2000 mètres.
Petit Som et Grande Sûre, au fond

Il faut redescendre.
Quand on monte, le regard est tourné vers le haut et le sol. Quand on descend, le regard se porte vers le bas et le ciel. Étrange configuration du corps et retournement de la perception.

Papillons et fleurs, toujours.

UNE SURPRISE M'ATTEND.
Je n'ai pas vu l'ours ?


LA NATURE RÉSERVE TOUJOURS DE L'IMPRÉVU !

Fatigué, je m'arrête sous un arbre pour boire et écrire quelque méditation :
Des papillons, des papillons, des papillons...
- Un premier papillon, puis un second, puis un troisième, viennent se poser sur ma chaussure et sur mon pied.

Curiosité : mais non, pas de pollen ! - D'autres me tournent autour : l'un essaie de fouiller mon sac... Mais non, il n'y a pas de fleurs ici : elles sont protégées par les responsables du Parc Régional de Chartreuse.

- Un autre se pose sur mon doigt et désire lire ce que j'écris sur la fiche (image ci-dessous) -
(c'est une méditation sur la relation entre les "entités actuelles" et les "objets éternels", ou "formes potentielles" dans la pensée de Whitehead : drôles d'idées pour une balade en montagne , n'est-ce pas ?).
Non, non, vous ne lirez pas ! Je pixélise, , tralala !
Ma réflexion est réservée à mon ami papillon et un de mes cours ou écrits futurs :


J'ai dû rester une bonne heure en compagnie de mes amis volants. Tant que j'ai désiré les capturer dans la machine à images, au milieu des fleurs, ils s'échappaient ! Quand je les ai laissés venir auprès de moi, ils m'ont apporté l'amitié et la gratuité de la nature : "animus et anima".



Par Nicorazon - Publié dans : Buissonnement de la vie
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Commentaires

merveilleuse escapade
je suis entièrement d'accord sur ta vue de la marche en montagne...on râle au début mais plus on avance, plus onse réjouit, plus on profite de l'instant et de la vue
Commentaire n°1 posté par lucie le 30/07/2009 à 17h32
Merci Lucie. J'espère que tu es bien rentrée en Belgique. À propos, vous avez gardé notre livre sur la Savoie ! Si vous avez le temps... ???
Réponse de Nicorazon le 31/07/2009 à 04h30
Quelle belle idée vous avez de vous promener en Chartreuse. C'est magique, spirituel et splendide à la fois. Je vous recommande particulièrement l'Aulp du Seuil bien sûr, puis le plateau...
Commentaire n°2 posté par Manu le 06/08/2009 à 13h32
Merci. J'espère bien y aller également. Mais je suis handicapé, ce qui limite un peu mes possibilités.
Ce matin, je suis monté à Chamechaude, me suis perdu dans des petits chemins non balisés et ai dû revenir au point de départ après plus de 3 heures de marche dans la caillasse !
Réponse de Nicorazon le 06/08/2009 à 17h59
Je vous souhaite plein de bonheurs en montagne. Vous semblez largement surpasser votre handicap et votre volonté tombe de nombreux obstacles, c'est formidable !
Commentaire n°3 posté par Manu le 07/08/2009 à 08h23
Ah, vous êtes grenoblois ? Je viens de parcourir votre blog : et bien, il y en a des choses intéressantes !!! Et la montagne est trop belle ici
Je suis aussi grenoblois depuis quelque temps, puisque je viens d'être embauché à Grenoble. Mais bon sang, ce qu'il fait chaud dans cette cuvette !!!!!!! Essayez de lire du Merleau-Ponty (comme je le fais depuis ce matin) quand il fait 40°.
Réponse de le 07/08/2009 à 14h03
Oui il fait chaud dans notre cuvette... j'ai de la chance, mon bureau est frais. Peut-être est-ce le seul défaut de notre chère contrée ;) non non, je ne suis pas chauvin.
En tout cas, j'apprécie beaucoup votre style, vos analyses et réflexions. Je n'ai pas votre niveau et cela me permet d'approfondir nombre de sujets... notamment une introspection personnelle sur le pourquoi aime-je tant la montagne. Bravo aussi pour l'article bouddhisme - chrétien !
Commentaire n°4 posté par Manu le 07/08/2009 à 14h25
Bon, et bien il faudra qu'on se voie à l'occasion...
Réponse de Nicorazon le 08/08/2009 à 11h53
bon, puisque c'est ça, je vais casser l'ambiance!!!
les papillons avaient soif! Tu as transpiré, donc ils sont venu pomper ta poésie et ta sueur!
Na!!
Sans rire, j'ai fait toutes ces promenades au début des années 60, quand je faisais mes études à Grenoble, et je suis très heureuse de les "refaire" en pensées et en photos!
bisous
Commentaire n°5 posté par lu7 le 07/08/2009 à 19h36
Aujourd'hui, tu ne pourrais plus ?
Réponse de Nicorazon le 08/08/2009 à 11h55

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