Lundi 21 septembre 2009 1 21 /09 /2009 18:01
Il se passe quelque chose qui m'étonne beaucoup ces derniers temps.
Depuis quelque temps, à la suite d'une embauche dans un centre de réflexion, de formation et de recherche théologique, je prépare des formations, des cours, des séries de conférences sur divers thèmes philosophiques, religieux, socio-politiques.
En d'autres temps, j'ai donné des cours dans des instituts supérieurs, des universités ou des grandes entreprises, et j'avais ma méthode propre : réflexion épistémologique (*) et sémantique(**), analyse historique,  perspectives contemporaines et une synthèse un peu plus personnelle. J'étais à peu près sûr de retomber sur mes pieds (sur mon pied, plus exactement).

  • Or à ma grande surprise, j'ai du mal aujourd'hui à appliquer cette bonne vieille méthode. Plus exactement, quand je m'y mets, je développe en labyrinthe des lignes accessoires, j'accumule les données superflues, je me perds dans les considérations méthodologiques... et je constate toujours que quel que soit le schéma utilisé, c'est toujours plus compliqué que prévu.

Est-ce l'effet d'un certain vieillissement ? Peut-être. Ou plutôt un trop plein de données ? C'est vrai, quand je lis des cours que j'ai donnais ou des formations que j'ai animées, je vois surtout ce qui manque et mesure mes candeurs d'alors ! Là maintenant, en essayant d'être exhaustif et schématique, l'inspiration s'épuise, un peu comme s'affadit le goût après un repas trop copieux.

En revanche, quand je me laisse aller à la rêverie et à la poésie, les idées sur ces sujets sérieux viennent en rafales, comme des risées colorées ou des ondes parfumées. Tous les sens sont en éveil et la plume ou le clavier suivent le souffle tel un torrent entraîné par la pente de la montagne.
J'ai toujours aimé la fluidité du réel. Mais cette fluidité est difficile à saisir dans des schémas et des représentations. Lorsque je projetais ou dessinais un plan ou un schéma, je précisais toujours à mes étudiants : "attention danger, un schéma est toujours faux, et parfois mensonger". Le schéma fige la pensée qui est essentiellement mouvante et subtile. En me penchant sur des penseurs pourtant extrêmement rigoureux, je suis émerveillé, par exemple, de la poésie de l'écriture de Hegel, de celle de Bergson, de Jankélevitch, ou même (et je vais en surprendre) de Descartes ! La lecture de ces auteurs fait apparaître des images, des liens, des relations, des dialectiques implacables et austères, mais surtout un quelque chose qui circule à travers... un quelque chose de vivant et d'effervescent.

Le célèbre principe d'indétermination d'Heisenberg démontrait que dès que l'instant est saisi (géométriquement et quantitativement), la dynamique est perdue... et réciproquement. Et ce qui est vrai au niveau nucléaire (ondes fluides et particules localisées) l'est analogiquement a fortiori des phénomènes apparents plus complexes ; analogie du fleuve agité que l'on photographie. "C'est l'Isère" pourrait-on dire en voyant la photo ! Non, ce n'est pas l'Isère, c'est une photo de l'Isère (***) à Grenoble. Sur la photo, le bouillonnement et les agitations sont réduits dans une géométrie. Aplatis, comme une tomate sous une presse. Le mieux serait de s'y plonger.

  • Ainsi va la pensée. Si elle est figée dans une représentation, dans des images, dans une géométrie, elle s'échappe. Il faut s'y baigner et se laisser emporter par le courant, par les turbulences qui nous retournent et par la vie qu'elles réveillent.

En préparant mes interventions, j'essaie de me laisser porter par la magie de la vie qui se cache derrière la trame étudiée. Je me sens exister sans l'aliénation qui guette tout intellectuel et tout scientifique (impitoyablement analysée par Edgar Morin). Et la pensée vient toute seule...

PS. Ça ne marche pas toujours. Dame inspiration est capricieuse !



(*) C'est-à-dire exposé des présupposés, des conditions initiales du parcours proposé. Je n'insiste pas trop sur le sujet si le public n'est pas préparé.
(**) Que va-t-on mettre sous les concepts ? Quel sens donne-t-on aux notions utilisées, etc.
(***) Ceci n'est pas une pipe !
Par Nicorazon - Publié dans : cogito "ego" sum
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Commentaires

Eh bien, la poésie dans l'écriture de Hegel m'a échappé jusqu'ici !! Je ne sais pas DE QUOI ça parle. Mais qu'est-ce que c'est que cette Idée, cette Volonté (toujours en majuscule)? Je n'y ai toujours rien perçu de "vivant et d'effervescent" mais un discours opaque qui se dit dans un monde fermé qui n'est pas le nôtre.
Tu expliques Heisenberg en deux lignes qui disent tout, quand Hegel en aurait fait 500 pages qui ne me disent rien. Mais il l'aurait plus probablemet nié comme non conforme à la Raison.

Comme je fais confiance à mes aînés, je me dis qu'il y a peut-être une porte d'entrée pour être apte à juger ces ouvrages. Mais où sont les clés ?
Commentaire n°1 posté par René le 22/09/2009 à 14h22
Merci René. Te connaissant, je me rappelle que tu aimais bien Kant : le style de Hegel est complètement différent et le fond aussi.
Le problème avec Hegel, c'est que pour entrer dans sa pensée, il faut déjà être initié par un hégélien. J'ai eu la chance d'avoir un professeur exceptionnel sur Hegel, à Lyon. Il nous l'avait présenté comme un penseur extrêmement subtil et humble (finalement après la traversée de tous les moments de l'Esprit, Hegel retombe dans l'expérience simple de la conscience, une sorte d'état contemplatif). On en reste souvent à cette idée d'une Raison au sens d'un rationalisme absolu et tout puissant. De plus, plus que la raison, c'est l'Esprit qui importe. Ou la raison comme synthèse de l'Esprit (la raison philosophique, il faut entendre). Les mots sont trompeurs.
C'est ce côté "absolu" qu'avait perçu et rejeté Kierkegaard. Mais on peut tout-à-fait lire cet absolu non au sens d'une globalité, mais au sens d'une infinité.
Partir du tout pour descendre vers les éléments... et saisir de quoi Hegel parle derrière tel ou tel moment de la dialectique (ce n'est pas évident si quelqu'un ne nous l'a pas dit), je ne l'ai compris qu'après l'enseignement de ce prof.
Je l'ai aussi découvert grâce à la théologie : Ganoczy (qui le présente admirablement bien), Labarrière (qui est son défenseur), Balthasar (qui ne peut pas le sentir). Et il y a une étrange parenté entre l'être qui fait l'expérience du Soi par sa négativité, et certains thèmes de la Kabbale juive, voire de la théologie paulinienne. J'ai eu d'autres clés qui étaient sensées m'ouvrir d'autres portes d'entrée... où je n'ai rien compris... Comme quoi !
 
Hegel est aussi l'ancêtre de la phénoménologie : pour comprendre la philosophie, il faut la lire de l'intérieur, comme une expérience, et non la voir comme une somme, une science, un manuel ou un discours qu'on lit de manière détachée.
Aujourd'hui, j'ai du mal à m'en passer et souvent je lis les événements du monde (culturels, philosophiques, socio ou psycho-socio) à travers quelques unes de ses lunettes. La dialectique de la conscience et de la conscience de soi est fondamentale. Je trouve ses approches de la religion et de l'art très originales. Malheureusement, il n'est pas musicien (à la différence de Nietzsche par exemple). On n'est pas obligé de le suivre dans sa vision politique qui a bien vieilli (Marx est passé par là, en cours de route !). Il manque aussi, me semble-t-il, une philosophie de l'intersubjectivité et de l'amitié. Il renvoie l'amour à l'insondable de la philosophie. Dommage.

Pour être franc, je trouve que Kant, qui est vraiment passionnant (je le retravaille pour une formation sur l'éthique) manque, lui, de poésie. Hegel n'est pas mon maître à penser. Je préfère être moi-même. On pourra en rediscuter. À bientôt.
Réponse de Nicorazon le 22/09/2009 à 15h10
J'ai sursauté en voyant le tableau de Magritte. Il ne faisait que présenter une version du principe d'incertitude!
Peut-être que Heisenberg et Magritte s'étaient rencontrés de leur vivant,(à Ostende ?!) mais cela aussi n'est qu'une incertitude ... (peu probable)
Bon, je ne philosophe pas, je divague.
Commentaire n°2 posté par gm le 24/09/2009 à 10h29
Ai pensé à toi , Ghislain, en mettant le tableau de Magritte.
Tu remarqueras que la pipe ne fume pas et que le tableau non plus.
J'avais envie d'écrire : "ceci n'est pas le tableau d'une pipe" !
PS. On peut divaguer en philosophie et philosopher en divaguant.
Réponse de Nicorazon le 24/09/2009 à 10h42

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