Identité

" Je ne peux rien pour qui ne se pose pas de questions " (Confucius)
Samedi 31 janvier 2009 6 31 /01 /2009 08:04
L'entreprise unilatérale de l'Église romaine de se réconcilier avec les évêques intégristes a donné lieu à une pétition engagée par le journal "La Vie". Parmi ces évêques, l'un d'entre eux, Williamson, est un négationniste de la Shoah et il le fait savoir avec sonneries et trompettes.
Après avoir lu des blogs, des articles et des émissions de radio sur le sujet, j'ai décidé de signer cette pétition pour diverses raisons :
  • Tout d'abord, je suis en bonne compagnie : Paul Valadier, Jacques Delors, Jean-Marie Pelt, René Girard, Jean-Pierre Dupuy et bien d'autres... personnages dont on ne peut pas nier l'esprit de discernement et de réserve réfléchie face à des décisions-clés.
    Le rapport à la Shoah ne mérite aucune négociation. Il est partie intégrante de l'ontologie humaine de maintenant forgée par l'histoire.
  • Ensuite, je conteste l'appropriation que ces "intégristes" se font de la "Tradition". La Tradition est comme un organisme vivant, un arbre, qui grandit de l'intérieur en se nourrissant de ses échanges avec son milieu. Elle rappelle, analogiquement parlant, la vision que les rabbins juifs ont de la Torah : sa fécondité est d'autant plus riche qu'elle se situe dans le débat permanent, dans l'interprétation et la relecture. Nous sommes dans le registre du vivant.
    Cela n'a rien à voir, voire c'est contraire, à l'idée d'un monolithe immobile, mort et protégé par des rites éternels... Laissons les morts enterrer les morts.
  • Dans la même ligne, je conteste l'idée selon laquelle les intégristes se prennent pour le "fils aîné" de la parabole de l'évangile sur "le fils prodigue". J'ai commenté ce point dans un autre blog !
  • Je viens de relire dans "Process and Reality" (un de mes livres de chevets) de Whitehead la démonstration que seuls les êtres complexes sont capables d'évoluer. Chez Whitehead, dont la philosophie est essentiellement une philosophie de la vie (de l'organisme, dit-il), la complexité ne se situe pas seulement dans les structures. Elle se situe surtout dans la ramification et les infinis degrés du "feeling". Ce mot anglais, tout le monde le sait, est intraduisible : il signifie à la fois les multiples variations de la sensibilité, les niveaux d'écoute et d'échange avec le milieu.
    Les grosses ficelles des intégristes, incapables d'entrer dans un processus évolutif, démontrent -dans le cadre de la pensée de Whitehead- que ce sont des imbéciles, en plus d'être dangereux
    .
La tentative de réconciliation de Joseph Ratzinger, Benoît XVI, a peut-être un sens caché au coeur de la miséricorde divine. Cela peut apparaître pour un acte courageux de sa part face à des personnes, notamment Williamson, qui utilisent les méthodes des provocateurs terroristes. La pétition de "la Vie", contrairement à ce qu'affirme un évêque dans un article, n'est pas une entrée dans le jeu des provocateurs, mais un acte de justice. Elle est du même ordre que les pétitions que l'on signe pour Amnesty International ou pour l'abolition de la torture.
Avant d'inviter au pardon, il faut se battre pour la justice et la dignité. Le pardon et la justice ne s'excluent pas mutuellement, bien au contraire, mais il y a une séquence à respecter. L'histoire des églises est un peu trop encombrée de ces "pardons" accordés hâtivement avant qu'un minimum de justice ne soit réglé. Et en cas d'impossibilité de pardon à horizon humain, laissons l'événement de Pâques, l'Esprit de résurrection agir à son rythme et en son lieu...
Par Nicorazon - Publié dans : Planète village
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Mardi 27 janvier 2009 2 27 /01 /2009 09:43
Crise financière, puis crise économique... Pourquoi ai-je dans le crâne le pressentiment qu'elles ne sont que prélude à une situation présente et future immédiate beaucoup plus grave ? Derrière cet état critique, se cachent la crise écologique, la crise de l'énergie et d'autres en rebond... Mais derrière l'horizon, se profile une crise spirituelle encore plus profonde. En raison, ou en cohérence plutôt, de ma vision organique des choses et de ma sensibilité artistique, je vibre à la tension du tissu du monde qui manifeste des craquements et des déchirures. Les symptômes sont multiples : chute de la natalité en Occident, au Japon, en Allemagne, dans les pays latins et scandinaves (la France faisant bien curieusement exception) ; tension communautaires croissantes liées à des revendications religieuses et identitaires : les attentats de Bombay, la Guerre à Gaza me rappellent le tableau de Goya (ci-contre) que Michel Serres a placé en couverture de son ouvrage "le contrat naturel". Deux personnages se battent à coup de gourdins, tandis que la boue monte autour d'eux. Agitation permanente des milieux d'affaire et économique, où corruption et immoralité croissent, tandis que crient dans le vide les défenseurs -bien impuissants- d'une éthique de la responsabilité et de la solidarité. Médias de plus en plus propagateurs de sensationnel, d'affectif pleurnichard, de futilité de jeux racoleurs... Et quand survient un événement dramatique comme la tempête de ces derniers jours en Aquitaine, dans le midi, dans la péninsule ibérique et en Italie, il s'en suit comme une expiration, un souffle qui vide l'esprit de ses halètements jouisseurs... qui vont reprendre de plus belle dans quelque temps.
  • L'arrivée de Barack Obama, comme en d'autres temps celle de Gorbatchev ou celle de Nelson Mandela, va-t-elle souffler assez fort pour assécher cette gadoue et apporter un peu de justice et de paix ? Je le souhaite de tout coeur, mais je ne sais s'il y arrivera. Les hommes providentiels sont efficaces quand ils cristallisent l'attente et les potentialités du peuple. Si le moral (au sens psychologique et au sens éthique) n'est pas là, si l'esprit de nos nations autrefois dynamiques vieillit, je ne vois pas comment Obama pourrait être efficace. Des articles lus dans divers journaux (télérama par exemple) énumèrent les raisons d'espérer. En 2009 ? Difficile à croire. À long terme, peut-être, mais bien au-delà du siècle qui a commencé et qui montre des remous inquiétants...
  • La grande grève de l'Esprit, prophétisait Teilhard de Chardin, avant le renouveau des consciences ?
L'athéisme a toujours joué dans ma vie le rôle d'une inversion de couleurs qui mettait en relief mes recherches et mes convictions (qui se densifient avec les années, heureusement). Il m'apparaissait comme le contre-poison par rapport aux moralistes sinistres et les inquisiteurs hypnotiques que l'on croise encore dans les milieux religieux. Mais ces derniers temps, il y a eu une campagne d'affichage lancée par des athéistes dans les rues de Londres et de Barcelone. Si j'ai bien entendu le discours, elle repose sur l'idée selon laquelle Dieu n'existe pas, ou que s'Il existe, on s'en moque puisqu'il ne sert à rien, et que par conséquent profitons de la vie ! Une variation de plus sur le thème : "nous avons toute la vie pour nous amuser, nous avons toute la mort pour nous reposer !" - bref, amusons-nous, ceux qui n'en profitent pas, tant pis pour eux, qu'ils crêvent ! Les malades, les pauvres, les bombardés et phosphorés, les dépressifs, les victimes de l'injustice ? Ce n'est pas notre affaire, ils vont mourir comme nous dans ce monde sans signification. Vu les raisons de désespérer (voir paragraphes précédents), pourquoi s'en faire ? Sous cet angle, l'athéisme n'est plus un filtre d'inversion de couleurs, mais un miroir négatif (au sens moral, pas au sens épistémologique) et manifeste ce que j'appelle la crise spirituelle profonde.
  • Jamais à ces défenseurs d'un hédonisme faussement joyeux, profondément désespéré, il n'est venu à l'idée que le message évangélique est essentiellement un message de joie, de nouvelle création et de vérité existentielle, et que lui aussi noie la mort dans l'événement pascal ? L'histoire religieuse, je sais, l'a un peu oublié et elle a souvent réveillé les puissances de mort par une mauvaise pédagogie de la Croix. Jésus s'est surtout battu contre les religieux, rappelons-le. Encore que, ce que j'écris là est une interprétation personnelle, anachronique, ana-topique, de l'histoire du christianisme.
L'activité industrieuse de l'homme a un sens, sinon, dit encore Teilhard, à quoi bon travailler ? La construction d'une humanité joyeuse, libre et fraternelle, aussi et elle déborde les apparences. Ce ne sont pas seulement les intentions qui comptent (misère d'un moralisme désuet qui a curieusement des résurgences dans l'existentialisme des années 50), mais bien la cité concrète, organique, physique qui se bâtit. Elle est porteuse d'un symbole, d'un logos qui dépasse notre horizon. Pour quelle finalité ? Je n'ai pas la solution, mais eh bien, un peu plus d'espérance en l'homme et en ses capacités aiderait peut-être à le discerner.
Par Nicorazon - Publié dans : Planète village
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Mardi 13 janvier 2009 2 13 /01 /2009 08:01
Oui, je sais, lors du décès d'un proche ou d'un ami, il est de bon ton de dire du bien de lui.
Mais René, mon beau-père qui vient de mourir, n'était pas quelqu'un dont on profite du décès pour lui trouver des qualités. Il était un ami, et l'amitié est ce qu'il y a de plus précieux dans la vie... même s'il faut passer du temps et traverser des épreuves pour la fructifier. Homme  vrai et transparent, bon et solide, drôle et farceur, d'une qualité d'écoute bien au-dessus de la moyenne, il se moquait complètement de l'image qu'il pouvait offrir en société. Il n'y avait aucune malignité, pas un milligramme de sarcasme ou de moquerie en lui.  Il débordait de vie, et son rire et ses exclamations d'émerveillement résonnent encore dans nos têtes.
  • Puisque j'écris sur un blog théologique, je dois dire un mot concernant les convictions chrétiennes et la figure que René dessine. L'étonnement, disaient les grecs, est le premier mouvement de la philosophie. Il l'est ou devrait l'être aussi de la théologie. Dans la théologie biblique, dit-on, deux courants se croisent et parfois s'affrontent : l'un, plus anthropocentrique, qui met l'accent sur la misère de l'homme sauvé par le Dieu misécordieux qui pardonne (non sans quelques rappels d'élémentaire justice) ; l'autre, plus métaphysique, qui met l'accent sur la création, la lumière, les signes et la parole du Dieu créateur dans la nature, l'univers et dans l'histoire. La patte chrétienne qui s'ajoute oscille également entre une théologie de la croix (la souffrance et le pardon, plutôt portée par la tradition protestante) et une théologie de la résurrection (la nouvelle création, plutôt portée par la tradition orthodoxe). Une bonne théologie consiste à équilibrer les deux courants souvent contradictoires. Malheureusement ces derniers siècles, le premier courant a trop souvent recouvert, voire écrasé, le second et a conduit à un spiritualisme désengagé (puisque le monde est pourri, autant ne rien faire et attendre le salut) ou un moralisme culpabilisant (de droite ou de gauche), à des "saints tristes" et au désespoir ou à la révolte de ceux qui n'ont plus la patience d'attendre.
René, Janine et les enfants Soyons clair : si l'autre courant s'hypertrophie, il glisse facilement vers l'oubli des exigences de justice et de défense des petits... ce que l'Église appelle la priorité envers les plus pauvres. J'ai rencontré bien des chrétiens, notamment dans les milieux de pouvoir ou les hommes d'affaires, qui omettaient cette exigence et trahissaient le message biblique et évangélique..

René est incontestablement un homme de la création, de renaissance (comme le rappelait Janine à la messe d'enterrement), de cet émerveillement permanent devant des "événements" (au sens de Whitehead) de la nature ou de l'entourage qui échappent à l'oeil non attentif. Ce rire si spontané, chaud, naturel, était cependant enraciné dans une vie qui a été bien éprouvée. Car un tel émerveillement est loin d'une béatitude évaporée. Sa curiosité ne s'arrêtait pas à quelques exclamations, il creusait, lisait, écrivait, travaillait pour comprendre ce monde qu'il aimait tant, et transmettre ce qu'il s'était approprié. Oui, homme de la création.
Mais de l'autre côté de la bascule, René est également un homme vrai, soucieux de justice et de défense des personnes blessées ou frappées par un destin douloureux. L'épiphanie vue par Giotto Janine, son épouse, et lui-même, ont adopté et soutenu des enfants arrachés de conditions dramatiques, ils ont participé à des activités sociales et écologiques et mille autres engagements où ils se sont donnés sans compter, quitte à y laisser des plumes. Et leurs enfants (dont mon épouse, la meilleure de toutes) sont des personnalités exceptionnelles et trempées qui ont recueilli et épanoui leur héritage, son héritage.

Dernier clin d'oeil : René est mort le 6 janvier, jour de l'épiphanie, Noël des orthodoxes, jour symbolique de la rencontre des mages païens et philosophes et de l'homme, encore enfant et fragile qui va faire basculer l'histoire.
Par Nicorazon - Publié dans : Planète village
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Lundi 5 janvier 2009 1 05 /01 /2009 07:28
Réflexion complémentaire à la vidéo de mon frère Daniel sur youtube à propos de l'omnipotence divine

Je ne comprends pas l'anglais, d'où peut-être une méprise par rapport à l'interprétation de la vidéo.


La question de la toute puissance divine est une vieille histoire. Elle est présente dès le début dans l'espace biblique, où le dieu des hébreux ne peut rien faire sans la collaboration des hommes. Le sommet sera atteint au moment de l'exil du peuple à Babylone, avec vents de révolte et nombreuses crises de conscience. Face au mal qui frappe le peuple, il n'y a pas d'athéisme au sens classique du terme, car dans le judaïsme, on est pour ou contre Dieu, mais jamais sans Dieu. Dans le second testament et les évangiles, l'impuissance de Dieu est manifeste au regard des hommes et la puissance ne se manifeste que dans la résurrection du Christ et le pardon.

La pensée grecque ne fonctionne pas dans ces présupposés. La mythologie écrase l'homme et l'histoire dans son « fatum », son destin imposé par des dieux qui le manipulent. Penser à l'Iliade et l'Odyssée. La philosophie, en grande partie, est une tentative de se dégager de ce fatum. Elle conduit en gros, soit à des concepts d'un Dieu érotique ou apollinien (Platon, stoïciens), soit à l'idée d'un Dieu mécaniste, cause première des événements de l'univers et de l'histoire (Aristote), soit à un athéisme radical (Démocrite, Épicure... et plus tard Lucrèce, quoique celui-ci écrive en latin) pour lequel le monde est absurde.

Les romains vont transposer (et envenimer) l'affaire avec leur conception de Dieu à l'image de l'empereur de Rome et une représentation très juridique de la toute puissance divine. On sait l'impact et les dégâts de cette conception sur la tradition catholique, surtout après Constantin.

Le christianisme va se développer sur ce terreau, avec également des influences des religions orientales perses. Inévitablement, les débats sur la toute puissance divine vont faire rage, surtout aux moments des grandes crises, comme par exemple lors de la grande peste du XIVème siècle et à l'époque de la Renaissance, de la Réforme protestante et de l'apparition de la science moderne. Sur ce dernier point, le célèbre débat entre Newton et Leibniz s'articule autour de la puissance divine dans l'univers, qui reprend, semble-t-il les éléments de la vidéo de Daniel... Newton se montrant du reste assez peu newtonien.

Auschwitz Mais c'est dans le judaïsme que l'omnipotence divine est la plus remise en cause. Dans la Kabbale notamment, et un peu aussi dans le hassidisme, où j'ai trouvé les pensées les plus profondes sur le sujet. Récemment, le petit livre « le concept de Dieu après Auschwitz » du juif Hans Jonas qui a perdu une partie de sa famille dans les camps d'extermination, et l'essai de Catherine Chalier qui suit, reprennent magistralement cette question en la projetant sur un plan cosmique. Le petit livre sur Emmaüs de Nicolas de Rauglaudre développe ce thème en l'articulant sur la théorie du chaos et sur la présence universelle du hasard. Malheureusement, il n'est pas publié, car les éditeurs sont très occupés. Snif !

L'athéisme classique traite aussi ce point comme argument contre Dieu (Feuerbach notamment), mais au XIXème siècle, cet argument n'est pas très crédible parce qu'il substitue la puissance de l'homme à l'impuissance divine. L'athéisme moderne (celui de Camus, de Sartre, de Bloch) est beaucoup plus pertinent, parce qu'à l'impuissance divine, s'ajoute la fin des idéaux humains.

Aujourd'hui, il y a peu de théologiens qui défendent l'idée d'une omnipotence divine, a priori, reprenant la réflexion biblique bien oubliée depuis plusieurs siècles. En revanche, c'est une question qui revient souvent dans les médias ou dans les conversations. Pourquoi ? Je n'en sais rien. Peut-être que le prométhéisme de l'homme tout-puissant du XIXème siècle et qui a mené au nazisme et autres horreurs du XXème, a-t-il projeté en Dieu ou contre Dieu ses rêves de toute puissance : « Dieu a créé l'homme à son image, et l'homme le lui a bien rendu », écrivait Voltaire. Je suis en train de relire Nietzsche et sa réflexion est d'une grande actualité. Peut-être est-ce dû à la montée en force de l'Islam qui ne s'embarrasse pas de toutes ces questions et dont la philosophie est très marquée par Aristote et son impact au moyen âge... ou peut-être par la progression des spiritualités cooconing du new age ou ersatz orientaux, où on aime se laisser balloter et materner par des énergies et des influences astrologiques. Je ne sais pas.

Pour ma part, sur ce point, je suis très proche de la réflexion du théologien protestant allemand Jurgen Moltmann, pour lequel l'impuissance divine est la clé de lecture de nos interrogations, et bien sûr du mathématicien et philosophe Whitehead qui conteste les théories de la toute puissance divine.

Voilà, j'espère avoir apporté une contribution à ce débat qui me passionne depuis longtemps

Par Nicorazon - Publié dans : Et Dieu dans tout cela
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Mardi 30 décembre 2008 2 30 /12 /2008 10:58
à l'attention de ma mère qui me demande comment je peux aimer la Bible !

Dans le dernier numéro de "la Recherche", journal auquel je suis abonné sans interruption depuis plus de 20 ans, un des chroniqueurs, sociologue de métier, écrit un article apparemment original sur la "religiosité" du marché : la fameuse "main invisible" providentielle d'Adam Smith, la divinité du commerce, la "vulgate" économique, la "foi aveugle" dans le dogme du marché, les "prêtres de Wall Street", l'école de Chicago qui forme des maîtres et des disciples etc.
Quand je dis "original", j'exagère un peu, car quand on a fait un peu de théologie, qu'on s'est frotté à des exégèses et de bonnes herméneutiques, on sait que le vocabulaire religieux transpire de partout. L'auteur parle aussi de "l'ontologie divine" ou de "la théologie calviniste" qu'il n'a sans doute jamais lue.

  • Comme d'habitude, il y a des dérapages : ainsi, le sociologue de "la Recherche" parle de l'individu "sommé de se soumettre aux impératifs du marché, écrasé par un déterminisme encore plus impitoyable que celui du dieu biblique". Autant la première proposition me convient, autant la seconde me fait rigoler, ajoutant une perle de plus à un petit catalogue d'âneries que je commence à collectionner et qui circulent dans les milieux intellectuels bien pensants.
Et bien non : le dieu biblique n'a rien de déterministe, c'est très exactement le contraire. La tradition juive dit même que la Bible a inventé la liberté, bien plus que la philosophie grecque. Adonaï passe son temps à proposer des alliances, à discuter avec ses prophètes, amis et envoyés, à les pousser à se libérer des esclavages, égyptien notamment, ou des sécurités religieuses des cananéens, assyriennes, babyloniennes, à s'énerver parce que Moïse ou le peuple récriminent parce qu'ils voudraient qu'on les laisse dans leurs petits conforts domestiques. Le dialogue entre Moïse et Adonaï sur le Sinaï est de ce point de vue savoureux : Adonaï propose à Moïse un travail (en commun) de libération du Peuple hébreu, mais Moïse n'arrête pas de rouspéter trouvant mille arguments à opposer pour rester tranquillement à garder ses moutons. Dieu lui offre de nombreuses garanties pour le sécuriser dans sa mission jusqu'à ce qu'à la fin, le texte dise que Dieu commença à s'énerver ! Cela ressemble plus à un père qui donne des coups de pied aux fesses pour que son enfant se libère et parte à l'aventure, qu'un empereur tout puissant qui contrôle tout son empire ou qu'une Cause Première qui mécanise toute la réalité physique. Tout le contraire du "fatum", du "Destin" imposé. J'ajoute en passant que les images hollywwodiennes ou disneyennes de Moïse ne correspondent pas au Moïse de la Bible, homme peureux, lâche, râleur qui ne s'aguerrira qu'avec les événements.
De plus, ce Dieu console ceux qui sont dans le désert, qui ont peur, Il s'engage personnellement à aider et ne pas abandonner les pauvres, les laissés pour compte de l'existence, les chercheurs. Et Il disparaît systématiquement dès que quelqu'un essaie d'avoir la main dessus ou de l'instrumentaliser.
Et ne parlons pas ici des évangiles pour lesquels le visage divin n'a pas grand chose à voir avec l'ontologie que croit voir l'auteur de l'article.

  • Pour nuancer, je dois ajouter que le visage de Dieu et les noms propres qui l'accompagnent sont divers. C'est vrai, quelques communautés ou quelques prédicateurs extraient de quelques versets quelques propos déterministes qu'elles veulent imposer aux quelques personnes qui les suivent. D'un texte aussi riche que la Bible, concentré d'expériences diverses et de genres littéraires variés, on peut tirer n'importe quoi. Au passage, entre la théologie de Calvin plus nuancée qu'on ne le dit, mais qui a poussé au bout le concept de la prédestination (une catastrophe théologique, mais pas pire que le mécanisme scientiste), et une pratique dictatoriale à Genève, il y a également des contradictions que les protestants connaissent bien (malheureusement).
L'histoire de la théologie et de la spiritualité est celle d'interprétations multiples pour saisir l'esprit et l'ensemble de ce que la Bible représente et de ce qu'elle a fécondé à grande échelle dans l'histoire. Heureusement que la Bible et que le Dieu biblique ne déterminent rien du tout !

En revanche, c'est vrai qu'il y a une vulgate économiste qui ressemble fort à une religion. Mais elle rappelle plus la fatalité des religions grecques, romaines ou babyloniennes que celle de la Bible.

Par Nicorazon - Publié dans : Et Dieu dans tout cela
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