Identité

" Je ne peux rien pour qui ne se pose pas de questions " (Confucius)
Mardi 18 août 2009 2 18 /08 /2009 11:37

Hannah Arendt à 30 ans Le fait d'avoir décidé d'écrire un blog avec un esprit positif ne signifie pas être béatement optimiste (1). Je fais le choix de l'être avant le non être. Mais aussi le choix et la priorité de l'être sur le devoir-être qui nous entraînerait trop précipitamment vers l'idéologie, l'utopie ou le moralisme. Je dois cela à la fois à mon éducation, ma formation et ma pratique scientifique, et à la découverte de la phénoménologie il y a cinq ans, que j'approfondis petit à petit avec l'aide de Maurice Merleau-Ponty. Je voudrais évoquer, à titre de gravité qui équilibre les articles plus détendus, la belle figure d'Hannah Arendt... et je dédie cet article à mon beau-frère Christophe, pilier du courant écolo belge (et qui m'a confié qu'Arendt a été la référence qui l'a guidé)

  • Hannah Arendt (1906-1975) est phénoménologue. Et elle est juive. Sa vie, exceptionnelle, est marquée par la fréquentation de ce formidable bouillon de culture philosophique qui marqua les années 20 à 30 en Allemagne, pour le meilleur et pour le pire, alors que le cauchemar nazi se profilait à l'horizon : Edmund Husserl, Hans Jonas, Karl Jaspers, Gershom Scholem, Rudolph Bultmann et bien sûr Martin Heidegger (qui fut son amant sulfureux, et, rappelons-le, la référence philosophique du régime nazi, après qu'Arendt ait pris ses distances avec lui)... N'oublions pas non plus son mari Günther Anders, philosophe référent de l'écologie politique, et tant d'autres... Tout ces noms prestigieux flanquent le frisson ! Hannah Arendt a dû fuir le régime nazi, avant de continuer sa vie tumultueuse aux États-Unis où elle rédigera ses plus grands ouvrages. Elle est considérée comme une des références de la philosophie politique.

La phénoménologie essaie de coller au concret et aux faits avant toute médiation hâtive du jugement et de l'abstraction. Je relis actuellement, sous l'angle phénoménologique, ligne à ligne, le dernier tome de la somme magistrale d'Hannah Arendt, "Les origines du totalitarisme". Ce tome, "Le système totalitaire", écrit en 1950-1951, et révisé à plusieurs reprises -je lis la dernière version de 1968-, me donne le vertige à chaque page (2). Prise dans la mouvance de la Shoah, Hannah Arendt est capable de rédiger, avec une froideur et une efficacité sans égal à l'époque, une analyse systématique des deux grands totalitarismes du XXème siècle, celui des nazis et celui des communistes soviétiques. Je devrais plutôt dire celui de Hitler et celui de Staline, tant l'identification des régimes avec leur tyran est totale. Lire ces pages est une nécessité qui rappelle, dans notre époque à la fois hédoniste, aveugle et anxieuse, toute enveloppée d'images (et beaucoup moins d'écoute), que nous ne sommes pas à l'abri de telles abominations, même si l'Europe qui se constitue est un rempart beaucoup plus sûr. Hannah Arendt ne traite pas la Chine de Mao, préférant, dit-elle, laisser l'analyse aux historiens et philosophes du futur quand ils disposeront d'une documentation suffisante.

  • Je suis étonné, alors que la parole des rares rescapés des camps était frappée de mutisme, à quelques exceptions près (3), que cette femme, juive je rappelle, ait pu entreprendre une telle somme dès les années 50. J'exagère un peu bien sûr. Mon enfance (dans les années 60-70), quand on évoquait la Seconde Guerre Mondiale, était marquée par le Débarquement de Normandie, par les exploits des Marines dans le Pacifique, par l'épopée de De Gaulle ou, eh oui, par celle de Rommel dans les sables du désert... et aussi par Hiroshima. La Shoah, mot inconnu à l'époque, n'apparaissait que comme fait divers dans une stratégie plus globale entre "Grands de ce monde". Il a fallu le feuilleton télévisé "Holocauste" des années 70, le film documentaire "Shoah" de Lanzmann, lire des ouvrages de fond, animer des sessions, notamment autour du livre de Jonas "Le concept de Dieu après Auschwitz" et du commentaire de Catherine Chalier, pour mesurer toutes les dimensions de l'horreur et la position centrale de la Shoah dans la compréhension (si l'on peut comprendre !) du nazisme et de la Guerre. J'avais également, mais trop rapidement, feuilleté les livres d'Hannah Arendt dans les années 80.

Hannah Arendt traite également de l'autre totalitarisme, sans complaisance, celui de la Russie soviétique, celui de Staline. Doit-on rappeler l'aveuglement de tant d'intellectuels, notamment en France, sur cette autre monstruosité (4) ? Une alliance entre la mort, le mensonge et la terreur. Une terreur qui augmente au lieu de diminuer quand l'opposition disparaît. Je dois avouer que moi-même, dans les années 70 et 80, j'essayais non de défendre, mais d'excuser le régime communiste en refusant toute analogie avec les nazis, sous prétexte que le communisme s'appuyait sur une philosophie humaniste. J'ai été vacciné de cette illusion par la lecture de Tzvetan Todorov "Mémoire du mal, tentation du bien" (autre ouvrage indispensable à lire), puis d'autres ouvrages de divers horizons. Et la relecture d'Hannah Arendt renforce le vaccin. Les totalitarismes se moquent complètement des éventuels fondements humanistes (Hitler aussi a gardé la Constitution démocratique de Weimar).

  • Thème récurrent de sa réflexion, Hannah Arendt explique que la plupart des hommes (très peu de femmes !), moteurs et acteurs de ces systèmes, sont des gens ordinaires. Et non des fous ou des pervers, comme on a tendance à le faire croire pour mieux s'en distancer (quoiqu'au bout d'un certain temps ! Voir '"Les Bienveillantes" de Jonathan Littell). C'est ce qu'affirmait mon père, quand j'étais jeune. Il y a des pervers partout, cela ne donne pas des Hitler, des Staline, des Göebbels, des Beria ! Idéologie, séduction, haine, mensonge aussi sont de la partie : et cela relève de la responsabilité personnelle et de la conscience éthique. Il est impossible de faire ici un exposé systématique de tous les points traités par la philosophe. Je rappelerais simplement que cela s'est passé en Europe, là où la culture se disait humaniste, là où les sciences et les techniques étaient sensées éclairer la Planète (rappelons que les régimes totalitaires se sont toujours réclamés scientifiques).

Hannah Arendt dans les années 60 Que ce soit une femme qui écrive un tel réquisitoire est loin d'être innocent, même si elle n'est pas la seule (elle fut pratiquement la première). Comme me disait un ami récemment, tout cela est une affaire de mâles et de machos, fiers de leurs bottes, de leurs défilés de chars et d'uniformes, de leurs armes pointues qui éjaculent de la mort. À Heidegger qui affirmait que « l'homme est né pour la mort », Hannah Arendt a répondu : « non, l'homme est né pour la vie ». D'après Wikipedia, sur la dépouille d'Hannah Arendt, Hans Jonas qui fut son ami intime aurait dit, après la prière juive, : « Avec ta mort tu as laissé le monde un peu plus glacé qu'il n'était. » J'espère que non !


PS. Arendt n'a jamais voulu qu'on la nomme philosophe. Toujours sur Wikipédia, j'ai lu cette phrase pas si innocente que j'essaie de méditer à mon tour : « la majeure partie de la philosophie politique depuis Platon s'interpréterait aisément comme une série d'essais en vue de découvrir les fondements théoriques et les moyens pratiques d'une évasion définitive de la politique. » (Condition de l'homme moderne, Calmann-Lévy p.285). Ce point de vue peut se discuter. À mon avis, elle est du même calibre que les plus grands philosophes.

 

(1) Être positif signifie d'une part que je pose les faits devant moi, avant de passer à une réflexion de type négatif (au sens dialectique), critique, apophatique ou symbolique.

(2) Quelques historiens ont critiqué par la suite quelques-unes des thèses, non suffisamment documentées, de l'auteur, mais l'ouvrage reste une référence mondiale. Mais je soupçonne certains d'entre eux de ne pas être suffisamment guéri de l'influence néfaste de ces grands totalitarismes.

(3) On pense à Primo Levi, par exemple.

(4) Edgar Morin évoque souvent les dérives et slaloms d'un certain nombre d'intellectuels français. J'en reparlerai à l'occasion.

Hannah Arendt
Par Nicorazon - Publié dans : Planète village
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Jeudi 30 juillet 2009 4 30 /07 /2009 15:15
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Cet été, j'entreprends d'escalader le plus possible de sommets de plus de 1800 mètres dans le Massif de la Chartreuse. J'ai un faible pour ce Massif, moins fréquenté que le Vercors ou les Bauges qui lui ressemblent, en raison de l'extraordinaire puissance de vie qu'il récèle : des sommets couverts de forêts, des myriades de fleurs au printemps, une faune encore sauvage et une histoire riche, bien que cachée. C'est vrai qu'il y pleut beaucoup (second lieu le plus arrosé de France, après les Vosges), mais c'est une pluie profonde, violente, souvent brève et imprévisible. Dent de l'Ours, au fond à gauche
  • Ce matin, je regarde la Dent de l'Ours à 1820 mètres d'altitude, au-dessus de Saint Pierre d'Entremont. La carte m'indique qu'il y a une route qui monte vers 1400 mètres. Calcul : deux heures de montée, deux heures de descente. C'est bien pour commencer.
  • J'arrive en voiture : zut, je me suis trompé. On ne peut se garer qu'à 1000 mètres. L'ascension sera plus longue et plus difficile.
Bon, contre mauvaise fortune (et peut-être aussi une insouciance de ma part), bon coeur. J'y vais quand même. Pendant plus d'une heure et demie, je chemine dans la forêt.
Le temps est à la pluie, mais les nuages se sont dissipés d'un seul coup. Merci l'atmosphère : au moins, avec toi, on ne peut pas se fier !

J'aperçois un panneau : Col du Fret, 120 lacets !
  • - Il est un fait étrange dans la marche en montagne. La première demi-heure, le corps est en forme, mais l'esprit est râleur et impatient : "quelle idée d'être venu là, j'ai mal estimé le trajet, il n'y a que des bois, on ne voit rien. Patatras si ça continue, je vais m'étaler dans la boue... Il en y a partout sur ce foutu chemin pas nettoyé !".
  • - Au bout d'un certain temps (variable sans doute selon les individus) il se produit l'inverse : je commence à fatiguer, m'essouffler, mais l'esprit et l'humeur montent et s'émerveillent : "Que la forêt est belle ! Et cette souche d'arbre suspendue au dessus du vide ! Oh, une magnifique clairière couverte de fleurs !"
Les 120 lacets, je vais les compter : c'est un excellent moyen de ne pas penser à son genou, à la prothèse qui frotte, aux premières ampoules qui, à défaut d'éclairer la route, gonflent dans la chaussure.

L'émerveillement s'amplifie quand j'accède aux alpages. Une explosion de couleurs et de mouvements tourbillonnants : des campanules, des oeillets, des épilobes, des bleuets, et au dessus des centaines de papillons aux dessins et aux teintes variées, qui jouent, se cachent, se balancent au vent.
  • Bien sûr en bon occidental qui rêve de saisir l'instant dans l'image, je saisis l'appareil photo et clic clac, je tente de capter l'insaisissable. Naturellement, je rate tous les plus beaux papillons qui font exprès de s'envoler à l'instant même où je les fixe.
    En voilà quand même quelques uns sur les photos ci-dessous :

Ah ! Ah ! Cherchez bien !!!



Les lacets ont commencé : la montée est raide. Jeu de l'Oie. Vers le 30ème lacet, la pente est acrobatique : je préfère marcher à 4 pattes, en lançant mes béquilles loin devant au fur et à mesure de la progression. Si je chute, c'est "retour à la case départ", ou "élimination".
Au 49ème lacet, je me casse la figure, roule dans l'herbe et redescends au 46ème -Reculez de trois cases-. Je pense m'arrêter au 60ème pour boire et me reposer, mais j'entrevois le sommet du Col. Je glisse encore deux ou trois fois, mais la pente est moins ardue, et quel plaisir de tomber au milieu des fleurs, s'allonger et regarder le ciel. Eh oui, c'est moi
  • - Arrivée au Col du Fret : 1750 mètres. Je n'ai compté que 105 lacets !
    La Dent de l'Ours est juste au dessus : Malheureusement, Pas un chemin ! Inaccessible ! Je n'aurais pas mon 1800 mètres aujourd'hui ! L'ours s'est caché. Peut-être y a-t-il un homme qu'a vu l'homme qu'a vu l'homme qu'a vu l'ours !
  • - Ce n'est pas grave : la vue est exceptionnelle. Chaîne de Belledonne et Lances de Malissard à l'Est, Petit Som, Grande Sûre et plaines à l'ouest. Et au Sud, le Grand Som qui domine de ses 2000 mètres.
Petit Som et Grande Sûre, au fond

Il faut redescendre.
Quand on monte, le regard est tourné vers le haut et le sol. Quand on descend, le regard se porte vers le bas et le ciel. Étrange configuration du corps et retournement de la perception.

Papillons et fleurs, toujours.

UNE SURPRISE M'ATTEND.
Je n'ai pas vu l'ours ?


LA NATURE RÉSERVE TOUJOURS DE L'IMPRÉVU !

Fatigué, je m'arrête sous un arbre pour boire et écrire quelque méditation :
Des papillons, des papillons, des papillons...
- Un premier papillon, puis un second, puis un troisième, viennent se poser sur ma chaussure et sur mon pied.

Curiosité : mais non, pas de pollen ! - D'autres me tournent autour : l'un essaie de fouiller mon sac... Mais non, il n'y a pas de fleurs ici : elles sont protégées par les responsables du Parc Régional de Chartreuse.

- Un autre se pose sur mon doigt et désire lire ce que j'écris sur la fiche (image ci-dessous) -
(c'est une méditation sur la relation entre les "entités actuelles" et les "objets éternels", ou "formes potentielles" dans la pensée de Whitehead : drôles d'idées pour une balade en montagne , n'est-ce pas ?).
Non, non, vous ne lirez pas ! Je pixélise, , tralala !
Ma réflexion est réservée à mon ami papillon et un de mes cours ou écrits futurs :


J'ai dû rester une bonne heure en compagnie de mes amis volants. Tant que j'ai désiré les capturer dans la machine à images, au milieu des fleurs, ils s'échappaient ! Quand je les ai laissés venir auprès de moi, ils m'ont apporté l'amitié et la gratuité de la nature : "animus et anima".



Par Nicorazon - Publié dans : Buissonnement de la vie
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Samedi 11 juillet 2009 6 11 /07 /2009 19:11
Je reviens de deux journées d'un colloque sur "le mal et la souffrance", vu sous les deux perspectives du Bouddhisme et du Christianisme. Des philosophes, des penseurs bouddhistes de diverses écoles, des théologiens, des ethnologues, des psychanalystes, freudiens, lacaniens, jungiens.
Titre morbide ? Peut-être vu de l'extérieur, mais en réalité, pas du tout : tant au plan de la forme (bons repas et accueil efficace) que du contenu : un concentré de vie et de partage de fond, des rires, des colères et des temps intenses d'émotion.
Bref, un colloque passionnant, par la qualité croisée des divers intervenants et par la profondeur des débats.
  • Le Bouddhisme est une tradition de sagesse, une religion sans Dieu, très concrète et très proche de l'expérience immédiate de la souffrance... À la fin de la première demi-journée, j'ai imprudemment dit à mes voisins de chaise qu'il manquait un Socrate au Bouddhisme, car on saute d'un concept à l'autre sans prise. C'était une maladresse de ma part, car les concepts bouddhistes difficiles à intégrer dans la sémantique occidentale, sont cohérents avec leur vision du monde. Une vision d'interconnexion universelle et très concrète de tous les êtres entre eux.
Bouddha Sagesse signifie équilibre entre extrêmes : en l'occurrence, contre l'extrême de l'ascétisme et contre l'extrême de l'hédonisme. Il s'agit de dépasser l'influence des passions, notamment les trois poisons : la haine, l'ignorance et l'avidité. Le croyant bouddhiste est appelé à se décentrer (un concept essentiel de ma propre réflexion) à travers divers axes de confiance que je ne développe pas ici -les intervenants bouddhistes ont insisté sur le fait que le Bouddhisme est une foi et une religion, et non une philosophie comme on veut le faire croire en Occident.
C
e détachement conduit à la fois à la compassion et à la méditation. La compassion n'a rien d'un apitoiement sur la misère de l'autre. Elle est au contraire un chemin et un accompagnement vers la révélation de la lumière en l'autre. Quant à la méditation, elle doit permettre de nous arracher au Destin du Karma et conduire à l'éveil, qu'a expérimenté le Bouddha, et à la connaissance (au sens existentiel du terme) du Nirvâna.
Vu sous cet angle, la prise en compte de la souffrance s'inscrit comme thérapie préventive : elle ne fait pas disparaître la douleur, mais permet de laisser le moins de place possible à la souffrance.
On pourra regretter dans le Bouddhisme l'absence d'une métaphysique qui interroge la question du mal et de la souffrance en soi. Mais se poser ces questions, disent les bouddhistes, c'est rester à un niveau inférieur, celui du moi... qui est une construction mentale. Argument cohérent avec l'ensemble de la pensée.
Le Bouddhisme n'est pas non plus monolithique : il y a des écoles différentes, et des débats avaient lieu entre les divers intervenants, selon les écoles auxquels ils appartenaient.


  • Le Christianisme, et le Judaïsme dont il est une des interprétations, religions à prophétisme historique (du moins originellement) nous entraînent dans une autre perspective. Ils posent directement la question de la souffrance et de la mort,  et les affrontent de face. Georges de la Tour : Job et sa femme Tentatives de rationalisation, pour le meilleur et pour le pire, confrontation avec l'énigme et l'absurdité du mal (choc autour du Tremblement de Terre de Lisbonne en 1755, du Tsunami récent, et autour d'Auschwitz), procès contre Dieu (songer au Livre de Job dans la Bible -peinture ci-contre : Georges de la Tour : "Job et sa femme"- ou dans la philosophie moderne, de Kierkegaard à Camus)... mais aussi foi en un Dieu qui a expérimenté la souffrance et la mort de l'intérieur (Le Christ) et appel à la responsabilité, l'engagement personnel et la relation interpersonnelle, justice et amour notamment, pour combattre le mal sous toutes ses formes : individuelles et sociales.
    Dans les pays bouddhistes, faisait remarquer un des intervenants (bouddhiste lui-même), il y a plus de dispensaires et d'associations caritatives chrétiennes que bouddhiques.
    À vérifier bien sûr, mais significatif.
Je précise, car c'est important : le Christianisme est en mode réponse à une question, une énigme, et non en mode solution à un problème. L'enjeu est existentiel, non spéculatif, même si la dimension intellectuelle peut apporter du contenu à l'action.
En revanche, peu de place pour l'exercice du corps et de la sensibilité, ce qui est bien dommage : l'Occident judéo-chrétien a oublié le corps et le vivant au profit d'un dualisme matière-esprit, et l'entraînement nécessaire pour prévenir l'inéluctable. Il est amusant de constater (statistiquement parlant) que la médecine classique par exemple, en monde occidental, est plutôt orientée vers le soin du malade avec des apports extérieurs (médicaments), alors qu'il est aussi important de travailler préventivement le terrain somatique et psychique, pour que le corps apprenne à combattre en amont.
Heureusement, les mentalités commencent à évoluer aujourd'hui.
  • Les psychanalystes présents ont permis d'affiner les relations du Moi au Soi, des rapports de la douleur à la souffrance, des relations entre le sujet, l'inconscient et la boucle mensonge-vérité.
 Ma présentation est très caricaturale, bien sûr.

Dans la salle quelques interférences ont montré la difficulté de s'arracher au mode "problème-solution" : "Sitépabien cétacause de ton karma, de ton enfance, des bières que tu sireautes, des cigarettes que tu fumes, cédetafôte ou célafôte de tes vies antérieures. Yaka accepter le Destin, les cycles de la vie, taka faire ci, yaka faire ça, faire de la sophrologie, du yoga, donner plein l'amour ou des fleurs de lotus au suicidaire etc." Mille fois entendu partout (j'ai animé une session sur le sujet dans une école d'infirmières)
  • À un moment, j'ai réagi (et été chaudement applaudi : ce qui fait plaisir à son ego) : je me suis situé en tant qu'ancien malade. Puis j'ai rappelé que la question du mal n'a pas de solution intellectuelle, théorique. Puis j'ai raconté l'histoire de ma vieille tante Bettie, religieuse, qui, à l'époque où j'étais cloué au lit -des années d'hospitalisation, de convalescence, de rééducation-, est venue me voir pratiquement tous les jours : mais surtout, elle apportait de la gaieté, de l'humour, une énergie à la fois communicante et attentive... Et elle glissait à mon intention, derrière le dos du personnel médical, tantôt une bonne bouteille de Bordeaux, presque toujours un petit mets préparé par une de ses connaissances, tantôt des confiseries. Elle avait surtout un art raffiné, d'expérience, pour respecter la douleur, voire la souffrance quand elle est insupportable... et (c'est aussi important) de remettre cette souffrance en place avec fermeté quand elle devient complaisante.
Cette femme est une des personnes qui m'a le plus impressionné sur cette Planète. Comme quoi la "compassion" ou la "sympathie" (pour employer le mot grec stoïcien) n'a rien à voir avec l'attitude penchée d'une bourgeoise bien habillée et pleine de commisération au-dessus de ses pauvres. Elle peut être joyeuse !

Par Nicorazon - Publié dans : Et Dieu dans tout cela
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Dimanche 5 juillet 2009 7 05 /07 /2009 23:08
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Lorsque j'avais 16 ans, mon frère Olivier, de deux ans mon aîné, me fit découvrir la "Troisième Symphonie" de Gustav Mahler, alors inconnue du public français. Quelques mois plus tard, après avoir dans la journée escaladé, puis redescendu l'Aiguille du Midi dans le Massif du Mont Blanc, il se tuait en voiture avec deux amis, près de Cluses.
  • Olivier m'a révélé la musique, initié au piano et je lui dois ce langage universel que je reconnais aujourd'hui comme ma langue première -bien avant la langue maternelle-. Jamais depuis, je n'ai rencontré quiconque capable de partager ainsi l'univers musical... Je porte ce don initial comme un mystérieux cadeau du silence et de la solitude, et comme une souffrance incommunicable. Presque seul, j'ai progressé en technique et musicalité sur le piano, rencontré les musiciens que j'aime tant, et exploré cette sphère ineffable, présente partout, aux rayons infinis et pourtant reflet de l'invisible...
Le Mont Blanc dans les nuages, vu de l'Aiguille du Midi Il y a une semaine, avec des proches, je suis monté à l'Aiguille du Midi. En téléphérique... avec un brin de mélancolie. Sur le chemin du retour, nous avons décidé de continuer la descente à pied depuis la gare intermédiaire du "Plan de l'Aiguille" (2300 m) vers Chamonix. J'ai décidé de fausser compagnie à mes compagnons et je me suis enfilé sur un chemin parallèle au leur, plein sud. Trois heures de pente dans les rochers, les alpages, puis dans les bois.

Je m'étais équipé d'une invention irremplaçable : le lecteur MP3. J'y avais copié la "Troisième Symphonie" de Mahler, dans une interprétation de Claudio Abbado et de l'Orchestre de Berlin, avec Jessie Norman (vertige garanti !). L'occasion de la goûter dans le contexte était unique... Cette symphonie est un voyage au coeur de la nature et de l'être intime. Si je devais en emmener une sur une île déserte, ce serait elle.
  • - La Troisième Symphonie de Mahler commence par un long mouvement que le musicien a intitulé "ce que racontent les rochers". Il s'engage comme une marche funèbre, puis chemine en un dialogue entre une mélodie sombre et somptueuse, portée par les instruments à cuivre, vent, batteries graves, et le silence. Quelques paysages traversés, tantôt aux accents guerriers, tantôt aux intonations de cirque, réaniment l'immobilité des pierres.
    Les rochers de l'Aiguille du Midi renvoient un écho tamisé de gris et de blanc, tandis que je longe le glacier des Bossons. Les lignes mélodiques, lentes, entrecoupées de séquences calmes, ont la majesté des granits des Alpes, à la fois rugueux et imposants. Glacier des Bossons
    La symphonie précédente, la "seconde" de Mahler s'appelle "Résurrection" : débuter la "troisième" par la mort et l'inanimé
    a de quoi interroger. La vie ne suivrait-elle pas le mouvement inverse ?
    Je songe à la sonate, dite funèbre, de Chopin, qui réserve la marche à la fin seulement, avant de se conclure dans un cauchemar, une sorte de vent glacial qui souffle sur un cimetière.
    A contrario, Mahler évoque la mort pour ouvrir sa symphonie et la composer comme un hymne à la nature. Dans les rochers et leur écho cristallin, sans doute y voit-il la première vibration d'une marée qui sourd du minéral inanimé, mort, et bouillonne vers la vie, fragile et subtile... et plus loin encore.

    Cette évocation amplifie et retourne, comme en négatif, la seconde symphonie.
Fleurs (photo de René Derenne) - Le second mouvement s'appelle : "ce que racontent les fleurs des champs". Nous voici dans les espaces où le vent caresse les prés, tandis que se balancent les fleurs et les buissons.
Par chance, nous sommes en juin : l'époque où la montagne scintille de myriades de pétales et se parfume d'effluves qui troublent les sens. Je chemine dans les alpages, au sein d'une campagne qui danse.
La musique, reprise par les cordes, violons, altos, semble voler en frôlant les fragiles tâches
multicolores et odorantes.
Je me souviens d'une vieille dame, à Nantes, m'expliquant que son espérance la plus grande dans la vie et dans l'avenir reposait sur la simple existence des fleurs !

Je sens que je vais craquer.

  • Forêt de Chamonix et aiguille du midi dans la brume - Puis voici "ce que racontent les animaux de la forêt".
    Je suis entré dans les bois qui surplombent Chamonix. L'Aiguille du Midi joue à cache cache avec les arbres et les nuages.
    Mahler semble suivre les étapes de l'évolution naturelle. Mais on aurait tort d'imaginer que le génial musicien allemand écrit une simple partition descriptive, naturaliste. Quand Mahler était jeune, il fuyait la tension familiale en se précipitant dans son village imprégné d'un climat de fête champêtre. Puis il s'apaisait. Le mouvement des animaux répercute la tension entre l'ambiance festive et une anxiété pressante.
    L'âme parle.
    On entend les insectes, les oiseaux et les bruissements des petits mammifères, mais aussi un ballet de la vie animale. 

    À la fin du voyage, un crescendo vers un formidable accord orchestral à flanquer le frisson au plus impassible des êtres, enveloppe l'univers sonore. Les mélodies explosent. Chaque instrument prolonge et décompose l'harmonie comme un arc-en-ciel.
    Je craque et pleure : mais ce n'est pas uniquement en raison de la musique. Comme Mahler, l'âme s'épanche en cascade. Les souvenirs douloureux se vrillent dans la mémoire.
- Suit alors ce lied, parmi les plus beaux jamais composés, chanté par Jessie Norman, sur un poème de Nietzsche. Je ne sais combien de fois dans ma vie, j'ai fredonné ce lied sombre, nocturne, ce "chant de la nuit". "O Mensch...Was spricht die tiefe Mitternacht ?... Ich schlief... Tief ist ihr Weh... - Homme... que dit la nuit profonde... Je dormais... Profond est le chemin..." (*)
Au coeur de la nature, l'homme est une interrogation... et il sommeille. Pour se cacher ?
Dans les bois, je perçois, derrière la musique, le murmure de quelque torrent qui descend d'un des glaciers, plus haut.
Il fallait bien Nietzsche pour écrire ce poème interrogatif, et Mahler pour le sculpter en musique silencieuse.
  • - "Bim bam bim bam !" Le début d'un carillon. Telles des étincelles qui précèdent le lever du Soleil, un choeur d'enfants, en duo avec la soprano, porté par le xylophone, les glockenspiels, les cordes et les vents, laisse apparaître la lumière. Comment Mahler fait-il pour basculer des obscures interrogations vers la simplicité cristalline ?"Ce que racontent les cloches". Nous prolongeons le vertige avec le Nietzsche de l'innocence... mais se dessine une ouverture vers le haut.
    Les clochettes des montagnes, sans doute, plus haut. Là où je marche, dans la forêt, je n'entends plus les clarines des alpages.
    La simplicité n'est jamais aisée. Quelques ombres mouvantes traversent la transparence du chant. Ici se clôt le temps de l'angoisse.
"Ce que raconte l'amour". Dernier mouvement. Mahler nous a habitués à ces longs et amples poèmes symphoniques. Celui-ci est, à mon goût, le plus beau de tous, bien plus suave et serein en tout cas que le célèbre adagio de la cinquième symphonie dont on nous a rabattu les oreilles dans les années 80 (suite au film de Visconti "mort à Venise"). L'amour serein ? C'est loin d'être évident a priori. Mais comme achèvement et synthèse du long combat de l'esprit, de l'imagination et du réel... sans doute.
Fresque de M. Larivière, au mémorial de la Paix à Caen Les récits de la Symphonie s'accomplissent en une contemplation, un regard vers une voûte qui culmine dans la lumière. Le musicien allemand, tel un démiurge qui se joue des formes, reprend quelques coloris du premier mouvement, celui des rochers inanimés. Mais il les a transformés en une mélodie qui enveloppe l'ensemble des cordes, et se conjugue ici et là avec l'une ou l'autre. La continuité harmonique recouvre les silences et cassures des rochers. Mahler raconte l'amour qui croît, culmine et pacifie. Non l'amour comme sentiment (qui est second et parfois mensonger), mais comme énergie vitale et synthèse.
L'amour est encore plus vaste que la Vie... et donc victorieux de la mort.

  • Gustav Mahler dernier représentant du "mensonge romantique" (**) ? Ou lointain visionnaire d'un monde achevé, par delà la douleur et les battements des coeurs ? Sa musique a révolutionné celle de son temps et inspiré nombre de créateurs, musiciens, cinéastes, romanciers... Je laisse la question ouverte.
  • L'ampleur cosmique de la Troisième Symphonie de Mahler (sa plus longue -et ma préférée-) vibre sur la lyre de mes perceptions. La Résurrection, si elle a lieu (j'espère), telle qu'elle est entrevue, d'un côté par les grandes spiritualités monothéistes (non encore contaminées par le moralisme, l'esprit théocratique et le juridisme), d'un autre côté par le panthéisme des religions orientales (mais habitées par la conscience réfléchie)... et bien sûr par Teilhard de Chardin, émerge des incohérences et des impermanences du réel comme une nouvelle Création... et non comme le prolongement extra-temporel d'une vie linéaire (certainement très ennuyeuse) dans un imaginaire autre monde.
  • Pour faire partager mon bonheur, vous pouvez écouter le cinquième mouvement, celui du choeur d'enfants et des carillons, en cliquant sur cette page
Le Mont Blanc est une montagne étonnante : il domine, massif et débonnaire, les élans d'aiguilles et de pics bien plus petits que lui. L'éternité de ses neiges, réverbération du dernier récit symphonique, la métaphore de l'amour créateur, semble se moquer des parois abruptes et des agitations statiques de ses compagnons.

L'Aiguille du Midi, juste sous le nuage à gauche, envoie son dernier message...



Il me reste encore plus d'une heure de descente. Les bruissements de l'air dans les arbres accompagnent les dernières sonorités de Mahler, de l'amour, des carillons, des fleurs, des rocs.

Adieu lointain, mon frère, emporté par l'absurdité de la vitesse automobile, qui m'a tant appris... et qui me parle encore aujourd'hui derrière le voile.

(*)
Poème de Nietzsche

O Mensch! Gib acht !
Was spricht, die tiefe Mitternacht ?
Ich schlief, ich schlief,
Aus tiefem Traum bin ich erwacht :
Die Welt ist tief,
Und tiefer als der Tag gedacht.
Tief ist ihr Weh
Lust, tiefer noch als Herzeleid:
Weh spricht: Vergeh!
Doch alle Lust will Ewigkeit,
Will tiefe, tiefe Ewigkeit!"

Traduction française presque impossible.

O homme ! prends garde !
Que dit minuit, la profonde ?
"Je dormais, je dormais,
Je me suis éveillé d'un rêve profond :
Le monde est profond,
Et plus profond que le jour ne l'a cru.
Profonde est sa peine,
Volupté, plus profonde que la peine du cœur :
La peine dit : passe !
Pourtant toute volupté veut l'éternité,
Veut la profonde, profonde éternité !"


(**) Expression de René Girard.
Par Nicorazon - Publié dans : En avant la musique
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Vendredi 3 juillet 2009 5 03 /07 /2009 11:00


La

vie
est
toujours
l'occasion
de
s'étonner !

(mais il ne faut pas la laisser s'échapper)





Voici quelques branches couvertes de groseilles,
avant que je ne les cueille pour des confitures...
Branches rouges
Même les araignées les adorent !
Groseilles sur toile


PS. Pourquoi Le Quesnoy : allusion à un célèbre film tourné à Lille des années 80.
Par Nicorazon - Publié dans : Buissonnement de la vie
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